Come on, one date. That's All I'm Asking Here
Je ferme la porte de chez moi et déjà Takk est entre mes jambes en train de râler et miauler plaintivement. C’est bon garçon, tu vas pas mourir, je t’ai laissé seul 24h. T’es un grand chat non ? Bon ! Lâche-moi la grappe. J’ouvre le placard et lui file de la pâtée, avant de remplir sa gamelle d’eau fraîche, le laissant déjeuner en ronronnant comme une locomotive.
Je remonte un peu le chauffage et file dans la salle de bains après avoir viré mes pompes et ma parka, que je laisse en vrac dans l’entrée. Je ferme la porte, et commence à faire couler l’eau, le temps qu’elle chauffe, pendant que je me déshabille. Bizarrement, en virant mon pull, je me rends compte qu’il porte son odeur. Quand il m’a prise dans ses bras sûrement. Et sans que je comprenne pourquoi, j’ai une boule au ventre. Le sentiment d’avoir fait quelque chose de mal. Une connerie. Ouais mais ma grande, c’était quoi la connerie ? Accepter son rendez-vous ? Avoir craqué ? Avoir dormi avec lui ? T’être barrée ? Un peu de tout…mais surtout le fait d’être partie.
Pendant quelques secondes, je suis même sur le point de passer de nouvelles fringues et d’y retourner, inventant un bobard comme quoi je voulais passer à la boulangerie et j’avais oublié que j’avais pas d’argent sur moi ? Non de toute façon maintenant c’est trop tard. Je me suis barrée, et j’espère juste qu’il va pas trop mal le prendre. Mon jean, et son caleçon que j’ai gardé atterrissent sur le carrelage alors que je me glisse sous l’eau chaude. Ca fait du bien. Je sais pas pendant combien de temps j’y reste, mais je me tape une longue pause de réflexion. Pourquoi j’ai fui ? Alors ouais ça a mal commencé, c’est sûr, mais au final…au final c’était plutôt chouette. On a bien mangé, il a été gentil… Roh Sanja arrête. T’es juste pas faite pour aller avec quelqu’un, c’est tout. Et il en aura marre, il va se barrer, alors mieux vaut éviter la casse en arrêtant ça avant même que ça ait commencé.
Je ferme les robinets, m’enroule dans une serviette et enfile rapidement une tenue propre, Takk sur mes talons. Oui gros, je m’occupe de toi. En regardant l’heure je vois que j’ai encore une bonne heure avant de devoir aller au restau, donc j’ai le temps. Je me fais couler un café, me prépare le petit déjeuner et prends le temps de manger, Takk sur les genoux, en tenant de lire un magazine. Même si les lignes défilent sans que je retienne rien. Je gamberge trop. Sur lui. Sur hier…Bon, Sanja ma grande, t’arrêtes tes conneries quand même.
Une fois le ventre plein, et le félin câliné et nourri, je renfile mon attirail, et reprends le chemin du restau. Comme d’habitude, je suis la première. Je vérifie les stocks, fais les commandes, lance déjà la préparation de quelques trucs pour le service de midi. De temps en temps je jette un œil à l’horloge suspendue en cuisine. Bizarrement, je me demande s’il est déjà levé. S’il a déjà vu que j’étais partie. S’il a déjà vu les pancakes que j’ai faits pour lui. Et si ça lui a plu. Ma maladroite et très pathétique tentative pour me racheter. Enfin non, pas pour me racheter, mais pour…rattraper le fait que je me sois barré. Un lot de consolation, en somme.
Les autres arrivent, on se rapproche de l’heure du déjeuner. Et au lieu de regarder l’horloge, je regarde la salle, à chaque fois que je passe près du passe-plats. Ou même en faisant exprès de passer à côté. Juste pour regarder s’il est venu. S’il s’est déjà installé dans son coin habituel. Rien. Je perds un peu le compte du temps quand les clients de midi arrivent, même si j’essaie de jeter deux ou trois coups d’œil. Rien. Je demande même à mon serveur, Erb, d’aller me faire un compte rendu. Mais il est pas là.
Ca me fait mal. De voir que pour la première fois, il manque…notre rendez-vous. Parce que bizarrement, je les voyais comme des sortes de rendez-vous, nos moments cuisine et suédois… J’ai une boule au ventre à l’idée de l’avoir fâché. Ou pire, blessé. Les heures passent, et toujours rien. La cuisine redevient calme, les autres partent pour leur pause. Je reste toute seule. Et je me rends compte qu’il…me manque. Que c’était devenu quasiment…normal de l’avoir. De lui envoyer des vacheries toutes les aprèm. Et la journée s’achève sur moi, qui me ronge les sangs jusqu’à la fermeture.
Je me traine chez moi, m’enfonce dans un bon bain chaud, Takk veillant sur moi en trônant fièrement sur le rebord de la baignoire et s’éclatant à me faire tomber des trucs dans l’eau, manquant de m’assommer au passage avec une bouteille de shampooing. Et je me colle au lit tout en continuant à gamberger.
Le lendemain, les heures avant l’ouverture se passent normalement. La routine. Mais j’espère quand même qu’il viendra. Qu’il sera là. Et je me dis même que s’il vient pas… je pourrai passer le voir. Avec un panier de cookies. Je sursaute quand j’entends Erb prononcer son nom et je me retourne lentement. Il est là. Il est venu. J’ai l’impression d’être une collégienne vu comme mon cœur tambourine dans ma poitrine, et j’ai un sourire stupide aux lèvres. La vache, on m’a ôté un poids des épaules…
Je m’applique sur son déjeuner encore plus qu’à la normale, et une fois qu’il a terminé, je lui fais envoyer un fondant au chocolat accompagné de crème anglaise, et un beau « Sorry » écrit en chocolat sur l’assiette. Espérant que ça suffise.