Fiche de présentation standard.

  Je suis née en mars 1989, à Nantes. Pour ceux qui ne connaissent pas, c'est une ville française du bord de Loire.

Mes parents étaient plutôt aisés, et ils adoraient leur fille unique. En conséquence de quoi j'étais le cliché de l'enfant gâtée, à qui on passe tous ses caprices et qui, dans le cas contraire, pique une crise de colère.
« Maman, ça brille. »
Une petite blonde haute comme trois pommes et une grande femme qui doit être sa mère marchent sur la plage. D'une main, la fillette tient celle de sa mère, et de l'autre, elle désigne une grande boule de feu qui luit dans le ciel.
« C'est le soleil, Gabrielle.
- Est-ce que je pourrais l'avoir pour jouer ?
- Pas celui-là, mon ange. Mais tu auras le même en plus petit, d'accord ?
- Non. Je veux celui-là. »
La femme s'accroupit près de sa fille et lui murmure :
« C'est impossible, mon ange. »
Aussitôt, la petite fille éclate en sanglots.


Je me souviens particulièrement bien de la maison de mon enfance, une de ces grandes bâtisses pleines de recoins, d'escaliers et de placards à balais, parfaits pour jouer à cache-cache. Dommage que je n'ai pas eu de frères et sœurs pour y jouer avec moi.

Peut-être que j'en aurais eu si mon père n'était pas mort. Cancer du poumon dû à une consommation excessive de tabac. J'avais 6 ans, je ne m'en rappelle pas très bien. Ma mère, par contre, n'a jamais achevé de faire son deuil. Oh, bien sûr, elle ne s'habille pas ​tous les jours en noir, mais ce n'est pas difficile de voir qu'elle pense continuellement à lui. Ces yeux perdus dans le vague, qui cherchent un endroit où le rejoindre... Aujourd'hui, ça ne me dérange pas, mais quand j'étais petite... J'avais besoin d'elle, et elle n'était pas là pour moi.


« Maman ? »
La fillette a grandi, elle doit avoir une dizaine d'années. Sa mère a des cernes sous les yeux, et elle regarde droit devant elle, immobile.
« Maman, tu as encore oublié de faire les courses. »
Un silence.
« Maman ! »
Elle sursaute et regarde sa fille.
« Excuse-moi, mon ange. Tu pourrais peut-être demander à Papa d'y aller ? Je suis un peu fatiguée. »
La petite fille soupire.
« OK, j'ai compris. J'y vais. »


Au moins, puisque je ne pouvais pas beaucoup compter sur ma mère, j'ai vite appris à me débrouiller. J'ai toujours pensé qu'on n'était jamais mieux servi que par soi-même.

Pendant plusieurs années, ça a continué comme ça sans que personne ne se rende compte que ça ne tournait plus très rond dans la tête de ma mère. J'étais devenue très douée pour trouver des excuses à toutes sortes de situations. Par exemple, au fait que ma mère ne vienne jamais aux réunions de mon collège ou qu'elle ne réponde pas au téléphone. D'ailleurs, ce dernier point m'arrangeait bien : il était préférable que personne ne l'entende parler de mon père comme s'il était là. On l'aurait prise pour une folle, on l'aurait jugée incapable de s'occuper de moi. Mais alors, qui ce serait occupé d'elle ?

Et puis un jour j'en ai eu marre. Je ne sais plus exactement quand, ni comment. Ce dont je suis certaine, c'est que je n'en pouvais plus. J'avais besoin de me sentir libre, et c'était impossible si j'étais responsable de ma mère. J'avais 19 ans.


« Maman ? »
Pour une fois, celle-ci semble attentive. Elle sourit.
« Oui, mon ange ?
- Arrête de m'appeler comme ça. Je ne suis pas un ange, et je ne suis plus une petite fille. »
Avec un petit soupir, sa mère passe une main dans ses cheveux d'un geste nerveux.
« Tu as raison. Excuse-moi.
- Peu importe. Je vais chez une amie, ce soir. Je passe le week-end chez elle et je reviens lundi soir. »
Déjà, sa mère n'écoute plus. Les yeux fermés, elle remue la tête, à droite, à gauche, à droite, à gauche...


Le lundi soir, je ne suis pas revenue. Ni le jour suivant, ni celui d'après. J'avais lâchement abandonné ma mère... Je m'en veux encore d'avoir fait ça. Je me demande si elle va bien. Et en même temps, je me sens tellement mieux. Libre. En quatre ans, j'ai l'impression d'avoir plus vécu que pendant tout le temps passé avec ma mère. Alors, j'oublie facilement ma culpabilité en me disant que c'était la seule chose à faire et je n'y pense plus.

Je me suis découvert une passion en visitant le Musée de la Photographie. En fait, j'ai toujours aimé prendre en photo mes amies, mais avant de visiter ce musée, je n'avais jamais pensé que je pourrais en faire mon métier, ni que les appareils photos anciens pouvaient être aussi délicat, fragiles et gracieux, ni que les photos en noir et blanc pouvaient avoir ce charme désuet qui me plaît tant.

En parallèle, j'ai appris le suédois par correspondance. Je ne sais pas vraiment pourquoi j'ai choisi cette langue ; peut-être un peu au hasard, peut-être parce que je rêvais de changement et que la Suède était à la fois située en Europe, donc facile d'accès et totalement différente de la France. Qui plus est, le froid ne me dérange pas.

Je n'ai pas été déçue en arrivant. Moi qui voulais être dépaysée, c'est réussi ! Tout ici me semble étranger, étrange même, alors que j'ai passé deux ans à étudier ce pays et sa langue. Dödskalle... C'est une drôle de ville, pas de doute là-dessus. Une drôle de ville à laquelle j'espère malgré tout m'habituer, parce que je compte rester ici tant que je m'y sentirais bien. Je n'ai pas passé tout ce temps en train pour faire demi-tour au premier pas.

Voilà comment je me suis retrouvée ici, avec deux ou trois valises, un appareil en bandoulière (un de mes préférés, un Rolleiflex 3.5 E datant de 1958 que j'ai récupéré pour trois fois rien dans une brocante) et un guide touristique en poche.