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 And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa

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MessageSujet: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyVen 8 Aoû - 0:40

And I'm talkin' to myself at night because I can't forget...


Lyov fixe sans le voir le comptoir en bois, ses rainures et ses nœuds qui ont été suivis du doigt par tant de clients pensifs, déprimés ou simplement ennuyés.
Ses pensées se bousculent dans son crâne, bourdonnant comme un essaim d’abeilles alors qu’il les subit sans les comprendre, qu’il n’en saisit pas la moindre, victime et témoin du chaos qu’elles s’attachent à créer. Des éclats de voix, des détonations, des confessions, aveux confiés sur l’oreiller ou par une arme braquée. Des flashs, des explosions, des couleurs qui lui sautent au visage et l’agressent, alors qu’il tente de repousser la confusion de son passé pour se lover dans le mutisme réconfortant de son présent, un monde en noir et blanc. Un film muet sur pause.
Mais les claquements se répercutent dans son crâne. Les murmures de tous ces enfants, ces femmes, ces hommes qui meurent sans qu'il ne puisse les sauver, ces gémissements des blessés, ces pleurs des familles en deuil, ces hurlements de ceux qui n‘étaient pas loin, lorsque leurs collègues ont marchés sur une mine...Les siens aussi. Il les entend. Les balles siffler, les obus fuser, les missiles vriller, les fusées de détresse, s'élever en tournoyant. Il les revoit. Toutes ces explosions aux couleurs aveuglantes, des arc-en-ciel brûlants, festival de couleur, polychrome, dégradé de rouge sombre, marron, sang séché, au blanc, en passant par le vermeil, liquide pourpre dégoulinant, par le rouge mordant et le jaune orangé des flammes, ces roses pales pour la chaire exsangue des cadavres, ... toutes ces couleurs, ces bleus et violets pour les hématomes, ces verts pour la lumière qui s'allume lorsqu'il se trouve au dessus de la cible, pour les uniformes militaires, le gris, le blanc, pour ces gaz, ces panaches de fumée toxique... toutes ces couleurs mortelles...
Il n'y a que le noir qui ne l'ai trahi. L'obscurité sans fin, dans laquelle il se mouvait, pour frapper, au bon moment, au bon endroit. L’obscurité qui lui sert de foyer. Parce que tout simplement il y est né et il y a grandi. Parce qu’il y a été dressé pour s‘y complaire, et que son cœur est teinté de noir. Parce que la seule personne qui s’est acharnée à y faire entrer la lumière, a fini par être engloutie par les ténèbres. Engloutie par la noirceur de son monde, par ce vortex de malheur, de souffrance et d‘obscurité qu‘il dégage, qu‘il est. Ce trou noir qui ne laisse rien d‘autre qu‘un vide sans fin.
Parce qu’il est les ténèbres, et qu‘au fond, il s‘en délecte. Il s‘y sent en sécurité, chez lui. Il s’y noie, il s’en habille, il s’y love. Il y vit. L’obscurité? Elle ne l‘a jamais trahi. Elle l’a toujours caché, protégé. Elle a écouté ses malheurs, a absorbé ses pleurs, lui a permis de survivre tant de fois. Elle était là pour encaisser les coups, pour entendre ses cris, pour essuyer sa haine, encore et encore. Et lorsqu’il la tapissait de ce fiel sombre qui le ronge, ça ne laissait aucune trace.
Il les abjecte ces couleurs.
Son monde est noir est blanc.
Noir, abysse glaciale et sans espoir, blanc, stupeur immaculée qui recouvre son sang.

Lyov détourne la tête et rencontre la glace qui lui permet de surveiller la totalité du bar. Il se fixe. Plonge son regard dans celui de son double, en face. Le visage d'un monstre, enveloppé de ténèbres. Un démon aux mâchoires verrouillées, au regard bleu, recouvert par un voile de brume, masquant les profondeurs d'une eau sombre dans laquelle des éclats de lumières jouent, étincelles glaciales dans un monde froid et mort.
Il se voit lui. Il voit le monstre nuptial. Et alors que les échos de la guerre et des vies arrachées résonnent en lui, son reflet lui rappelle qu’il aurait pu être à leurs places. Qu’il aurait dû être à leurs places.
A chaque foutue fois.
Il relève la tête, presque hébété, alors qu’il détaille son bar en plissant les yeux sous la lumière trop vive. Il fait pourtant sombre, mais même l’obscurité la plus totale ne lui suffit plus.
Il a terminé de nettoyer l’établissement de fond en comble depuis de nombreuses minutes, déjà. Les tabourets sont alignés, les banquettes époussetées, les tables et le comptoir lustrés. Aucune trace d’alcool collante, seules quelques ronds plus clairs sur le bois sombre indiquant la pose répétée de verres humides. Les pintes et autres verres sont lavés et rangés, tout est sous clé.
Il détaille les boxes, les peintures maritimes suspendues, les cartes, les reliquats et souvenirs de navigation. Il jette un coup d’œil à la barre, à l’ancre, dans un coin. Aux voiles accrochées au plafond qui apportent un peu d’intimité à certains endroits.
Les gens se sentent bien, chez lui. Proches de l’océan, de l’odeur du sel et des algues. Proches du vent et du grincement du bois. Du clapotis de l’eau sur la coque.
Lui, se fait l’impression d’être un imposteur, à vendre pour certains, une illusion de calme, pour d’autres, un contexte propice aux beuveries et bagarres.

Lyov joue avec quelques graines de pavot qui trainent sur le comptoir, à côté d’un pseudo sandwich qu’il s’était préparé pour se forcer à manger. Le gueuleton lui avait fait de l’œil toute la nuit pour lui rappeler sa présence, la nécessité de nourrir son corps, mais rien n’y avait fait. Même pas une bouchée. Et au milieu des relents d’alcool et de la sueur de certains clients, l’odeur du pain, des tomates et du thon qu’il n’était pas censé sentir lui donnait la nausée.
Soupirant, il remballe l’en-cas intouché dans son film plastique qu’il glisse par la suite dans le compartiment du frigo qu’il garde pour son usage et celui de son unique employé. Celui-ci était en vacances, et si Lyov aurait pu apprécier une autre paire de mains pour le travail à abattre, en cet instant, il appréciait surtout le silence et la solitude.
L’homme attrape le torchon qui traine sur son épaule d’un geste lent, fatigué, et se met à nettoyer les quelques miettes que son dîner inentamé avait laissé, avant de porter un regard hésitant sur les étagères.
Il attrape une bouteille de bourbon.
Il ne devrait pas.
Ses doigts partent à la rencontre d’un verre, en un geste professionnel, qu’il pose sur le comptoir.
Il ne devrait vraiment pas.
Le russe se redresse, fixant d’un œil accusateur son propre passé à travers le liquide ambré qui lui propose ses services. Il sait que l’alcool n’aide pas. Il sait que dans son cas, il aggrave la situation. Il sait que des pensées de plus en plus morbides viendraient flotter dans le torrent d’alcool alors qu’il s’embourberait dans sa vase.  
Soupirant, dans un accès d’auto préservation dont il ne pensait plus être capable, il range le tout et s’écarte du comptoir, de la vue de ses propres vices. Il n’est pas toujours suffisamment résistant face à la tentation.
Pourtant il a besoin d’un exutoire, ce soir. Il a besoin de contrebalancer.
Une clope ?
Il ravale un rire cynique. Quelle idée d’ouvrir un bar tabac ? Il l’avait fait exprès, en bon masochiste. Pour s’éprouver, se torturer. Ou peut-être aussi pour le mettre face aux dégâts que ses vices pouvaient lui causer, en les voyant tous les jours chez certains représentants de sa clientèle.
Peu importait. Cette nuit là, à l’heure où même les piliers de bars étaient rentrés se coucher, ou du moins avaient tenté de le faire, la tentation était forte, viscérale, et la faiblesse, pas loin.
Lyov s’assène une tape derrière la tête, augmentant la migraine persistante qui lui vrille le crâne.
Qu’il se reprenne, bon sang ! Suffit les conneries.
D’un geste brusque qui ne laisse pas transparaître sa fatigue, il saisit les clés de l’établissement et se dirige vers la sortie, bien décidé à éteindre, verrouiller, et laisser les fantômes du passé dans le local pour la nuit, afin de rentrer chez lui mettre son cerveau en veille.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptySam 9 Aoû - 15:38

Elle était sortie tête nue et pieds écorchés pour espérer entendre les murmures du petit peuple : elfes, trolls et fées. Sauf qu'il n'y avait que des fantômes : ceux des sirènes, ceux des cris à venir, et la mort qui attendait, qui observait, invisible et sans odeur. Il faisait nuit, et Elsa aurait du être chez elle depuis des heures. Sauf qu'on ne choisit pas les urgences, pas lorsqu'on peut encore sauver quelqu'un, pas lorsqu'il faut bien une personne pour éponger le sang, allumer les lumières, les fermer en partant et continuer de faire tourner le monde.

L'accident avait été terrible, assez pour broyer les deux voitures. Par miracle, le chauffeur de l'une d'entre elles s'en sortait juste avec les deux bras cassés, ainsi qu'une jambe. La vilaine estafilade à sa joue ne serait vite qu'une coupure, un souvenir. Comme d'autres choses...
Une demie heure. Trente minutes, peut être un peu plus, juste assez pour perdre la notion du temps et commencer à pleurer. Une demie heure que les pompiers et les médecins avaient passer à s'acharner sur un corps, un seul. Le plus petit. Comme si par miracle, par simple refus, la mort reculerait alors qu'elle était déjà là, toute entière pour emporter un nourrisson de quatre mois. Elle se souvenait avoir crié, hurlé. Elle se souvenait avoir griffé le bras du médecin-chef pour qu'il arrête, qu'il recule.... Parce qu'il était tard, trop tard, que plus rien ne pouvaient être fait et que les miracles n'existaient pas. Que l'enfant était mort définitivement, comme sa mère aussi et que le père reposait dans une chambre, le corps brisé et le cœur bientôt aussi.
Il s'était réveillé une fois, avait murmuré l'une des autres infirmières, juste capable de murmurer une phrase. Heureusement que j'étais seul dans la voiture. Non monsieur, non... Car il y avait votre femme, car il y avait votre bébé, mais maintenant vous êtes seul dans la vie.

Une tragédie de plus, aucun d'eux n'y pouvaient rien. Il y avait également un enfant dans l'autre voiture. Six ans, disait le dossier médical. Un enfant d'ici, revenant d'un week end chez sa tante à Malmö. C'était elle qui conduisait, elle dont les freins avaient lâché. De la faute de personne, rien de plus. Ils étaient au delà de tout ça, et les cernes leurs brûlaient les yeux pour toutes ces vies perdues. La mère attendait dans le couloir de la morgue pour identifier le corps. Six ans. Lorsque Elsa était passé près d'elle, elle l'avait entendue murmurer : » ce n'est pas possible tout ira bien, ce n'est pas lui... Il n'a pas encore fait le rêve, c'est une erreur il va se réveiller... ».

Les morts ne se réveillent jamais.

Dans la salle de repos, elle s'était lavée les mains. Une de ses collègues pleurait au téléphone, appelant son fiancé, lui murmurant des mots d'amours, mais jamais assez parce qu'une vie sera toujours trop courte. Le médecin de garde, celui qui avait du gérer cette apocalypse, parlait de ses enfants d'une voix éteinte. Un gobelet de café fumait devant lui, il n'y toucha pas, juste capable de se rappeler que la dernière fois qu'il avait vu sa fille, c'était pour une dispute. Alors il voulait la revoir, l'embrasser sur les deux joues et la couvrir de cadeaux. Elsa ralluma son portable, consciente qu'elle n'avait personne à qui parler ou hurler des preuves d'amour. Brusquement le propre vide de sa vie lui arracha les tripes, elle retint un haut le cœur et s'élança dehors sans même prendre sa veste.

Malgré les clés de voiture dans son jean, celui trop usé, trop élimé et que depuis des mois elle devait changer, la jeune femme marcha. L'air de la nuit ne lui apportait rien, Elsa savait juste qu'elle ne voulait pas rentrer dans sa maison trop vide. Il n'y aurait que des livres pour l'y attendre, pas d'étreinte, pas de caresse, pas de baiser.

Alors elle marcha, pleurant de temps à autres entre fatigue et tristesse mais toujours en silence. Elle ne savait pas où elle allait, aussi Elsa fut elle étonnée de se retrouver soudain devant le bar-tabac de la ville. Un endroit où elle venait souvent boire un coup ou simplement bouquiner au milieu du vacarme, garder l'impression de ne pas être toute seule même si on lui parlait peu.
Lyov allait fermer, évidemment vu l'heure.... Brusquement elle prit conscience du froid et frissonna. Oh rentre chez toi, ma fille... Ici tu ne peux pas te réfugier.

Derrière la vitre de la porte : la silhouette du russe, lourde, forte comme un de ces guerriers de livres d'images. Elle ne savait pas s'il pouvait la voir, mais par pure politesse, sourit en inclinant la tête en guise de bonjour.
Puis, essuyant les traces de larmes sur ses joues, elle tourna les talons, prenant refuge sur un banc proche et attendant de retrouver assez de maîtrise d'elle-même pour accepter de rentrer chez elle. Elle tremblait comme une feuille à présent, mais moins du froid que du contre coup de cette soirée. Brusquement la jeune femme se releva et toqua, tant pis pour les politesses, tant pis pour le savoir vivre, tant pis pour tout.

"Je sais que c'est très impoli mais si vous avez du whisky ou même quelque chose de plus fort...j'ai l'impression que je vais mourir, sinon.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyDim 10 Aoû - 11:38

Lyov avait manqué de lui rentrer dedans, perdu dans ses pensées, alors qu’il ouvrait la porte de l’établissement, bien décidé à rentrer chez lui.
Figé par la surprise, il tentait de trouver une raison logique à la présence de la jeune femme, à cette heure tardive de la nuit. A son regard désespéré. A ses mots fatalistes.
Les questions se bousculaient dans son crâne, perturbant un peu plus un cerveau qui avait déjà suffisamment de mal à gérer son propre état, et, incapable de formuler la moindre question cohérente, l’homme préféra garder le silence et s’écarter simplement, laissant l’espace nécessaire à la jeune femme pour pénétrer dans l’établissement.
Refermant la porte derrière elle, il ralluma la lumière d’un geste mécanique et tourna de nouveau le bouton du thermostat pour s’assurer qu’Elsa, qui semblait congelée et inconsciente de l’être, puisse se réchauffer rapidement. Les lampes grésillèrent un instant avant de se stabiliser et d’apporter un climat réconfortant à la scène, une sensation de « Home, sweet home ». Le bar avait une toute autre ambiance, tout à coup. Comme si, déserté de sa clientèle, les souvenirs et les empreintes de la vie ressortaient, en relief, palpables, errant dans l’air comme des âmes en peine, hantant l’atmosphère comme des fantômes qui fixaient les nouveaux arrivants à l’image de gardiens d’une secte s’interrogeant sur la douleur suffisante de leurs vécus pour adhérer au groupe.
Lyov avait l’habitude de ces fantômes. Il cohabitait avec eux, les observait, leurs parlait, parfois. Quand seul l’obscurité de la nuit en était témoin. Il n’obtenait jamais de réponses et n’en attendait pas. C’était simplement les démons des Hommes qu’ils laissaient en partie après leurs passages, lui rappelant qu’ils en étaient tous au même stade, des souvenirs en gage lui permettant de retarder un peu l’arrivée de son propre cafard.
Il lui indiqua d’un geste de la main le comptoir, l’invitant à prendre place où elle le souhaitait, avant de se glisser lui-même derrière celui-ci et de parcourir du regard ses étagères. A chaque occasion sa bouteille, et il avait l’habitude du genre de celle-ci. Un regard désespéré, un déséquilibre au bord du précipice, le corps qui tangue, chancèle, hésite devant l’opportunité de sa chute, la panique qui monte alors que l’éboulement de la vie semble vous écraser, une note amer au fond de la gorge…
Elle n’a pas décroché un mot, mais il sait. Il l’a lu dans les traits de son visage, dans l’éclat de ses yeux. Il l’a vu dans sa posture, dans ses gestes maladroits. Il l’a entendu. Hurlé à plein poumon par son âme à travers sa voix basse et suppliante. Des intonations aux accents de douleurs et de souffre. De napalm et de houille. De chaire brûlée et de rouille. Un goût de métal dans chacun de ses mots. De sang âcre et poisseux qui alourdit la langue. Une odeur de désinfectant qui n’a pas d’emprise sur le parfum de la mort. De la peur.
Il a vu le vide, dans les prunelles de ses yeux. Vertigineux. Il a vu le gouffre abyssale du fond duquel la jeune femme tendait une main, un abîme de noirceur qui semblait l’attirer pour l’avaler à son tour.
Habituellement, il aurait sorti sa plus vieille bouteille de Bruichladdich, puissante, forte, distributrice de claques bien violentes histoire de remettre le gaillard d’aplomb ou de l’assommer un bon coup pour qu’il puisse repartir frais comme un gardon et bien secoué le lendemain matin. Mais il ne voulait pas la mettre K.O. pour qu’elle reparte un peu mieux. Il voulait que l’alcool chasse le désespoir liquide qui coulait dans ses veines, exorcise ses peines, délie sa langue pour qu’elle puisse recracher cette boule fuligineuse qui bloquait son sternum et l’étouffait, brûlant les organes alentours. Il lui fallait quelque chose de différent. La jeune femme était plus délicate, plus « fragile » à sa manière. Plus forte, aussi. Plus subtile. Il lui fallait un whisky à son image.
A l’image du désespoir dans on regard. De l’espoir au fond de sa voix. « J'ai l'impression que je vais mourir, sinon ». Sinon.
L’homme se baisse, ouvre un placard et en sort une bouteille de Yoichi 20 ans d’âge aux accents parfaitement équilibrés entre le boisé, le floral et le fruité, le tout légèrement tourbé tout en restant délicat et parfumé. 52%, de quoi satisfaire son besoin d’alcool fort tout en remplissant, si possible, le reste des objectifs du russe.
Il n’hésite même pas à poser deux verres sur le comptoir. Après tout, il n’allait pas la laisser boire seule, et ça ne pouvait pas tant lui faire de mal que ça, n’est-ce pas?
Il débouchonne la bouteille et le bruit résonne dans le silence étrange de la pièce. Il se rend compte qu’il n’a pas décroché un mot, mais il n’arrive pas à parler. Son esprit navigue entre la jeune femme, sa visite nocturne, et ses propres pensées. Dans cet espace quasiment désert et silencieux, manipuler une bouteille, en sentir le contact et l’odeur, n’a pas les mêmes conséquences sur son esprit qu’habituellement. Là, il lui sert à boire, personnellement. Là, il se sert à boire.
Tout est une question de circonstances, tout est une question de conséquences.
L’impact du culot de la bouteille sur le comptoir lorsqu’il repose celle-ci ne soulève nulle poussière, mais toute une vague de souvenirs. Le son crie l’habitude, l’obscurité de son passé, lui montrant qu’au fond, le présent est similaire.
Le russe s’apprête à ouvrir la bouche puis la referme. Il réalise tout à coup qu’ils n’ont jamais trop communiqué, malgré les années de fréquentation plus ou moins distante. Ils ont bien échangé quelques mots, quelques points de suture contre quelques verres, il a bien veillé sur elle, de loin, sans jamais l’envahir… mais ils n’ont jamais vraiment parlé.
Il se contentait de s’assurer qu’elle trouverait toujours une place, qu’elle serait toujours servie rapidement, que personne ne viendrait l’importuner. Qu’elle pouvait lire en paix, agréablement. Qu’elle pouvait trouver le seul apaisement qu’il pouvait lui procurer.
Les gens se sentent bien, ici. Sa réflexion de tout à l’heure lui revient en mémoire. Elle venait chercher un coin tranquille, et à l’instant, elle cherchait une épaule, ou au moins, un comptoir sur lequel s’appuyer. Elle s’y sentait suffisamment bien pour que ce soit là qu’elle vienne, automatiquement, après ce qui semblait être une journée cataclysmique.
Il observe le liquide ambré remplir les verres. Un peu trop. Il n’a pas mis le doseur, volontairement. Le russe n’est plus en service. Il n’est plus barman. Il est juste un homme avec une bouteille et une chaise à offrir. Une oreille attentive.
Et tout son temps.
Il regarde un instant l’océan doré qui tangue, unique note de couleur dans son monde grisonnant, et en hume le parfum alcoolisé. S’il prend ce verre, il franchit un cap.
Il ne devrait pas prendre ce verre.
Du bout des doigts, il en fait glisser l’un des deux près de la jeune femme.

-C’est pour moi.

Il le précise, mais à ses yeux c’est une évidence.
L’autre verre, il ne prend pas la peine de le toiser. Il sait. Il sait qu’il va le vider. Son esprit hausse les épaules. Peu importe. Ce n’est pas si grave. Quitte à avoir des principes à la con, autant que ce soit sur des choses plus importantes.
Enfin, il la regarde elle. Il détaille son visage. Et lorsqu’elle plonge ses yeux dans les siens, il s’y noie. De nouveau. Prenant un peu plus conscience de la profondeur de l’abysse.
Etrangement, il a l’impression tout à coup de partager un secret avec elle. Comme si toutes les fois où, la voyant jours après jours s’enfermer dans sa bulle de lecture, il s’était dit « Il doit y avoir du lourd dans son dossier. » sans pour autant aborder le sujet avec elle, venaient enfin de trouver confirmation dans l’initiative de la jeune femme. Comme si elle lui disait « Oh, si tu savais ».

-Sale soirée?

Il lui laisse le choix. Il ne lui demande pas ce qu’il lui est arrivé. C’est à elle de décider si elle veut mettre les mots. Si elle veut lui dire.
Si elle a besoin d’encore un ou deux verres pour en parler.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptySam 16 Aoû - 16:41

Elle aurait pu être la nuit, sombre et immobile avec juste ce qu'il faut de tristesse dans les yeux et au cœur pour briller du même noir que les étoiles. Elle aurait pu être la nuit, à défaut d'être la vie, avec des cheveux couleurs de deuil et des yeux d'autres royaumes, pourtant Elsa n'était qu'une femme. De la chair, du sang, un cœur pour battre, des poumons pour respirer, ce genre de choses. Rien pour forcer l'admiration, la beauté, mais en revanche tout pour s'écrouler.
Elle avait traversé le froid et la distance jusqu'ici pour tomber, n'est-ce pas ? Et face au regard de l'homme, à son silence, elle chutait. Car ses pieds étaient d'argiles, comme eux tous peut-être mais les autres, oh les autres elle s'en foutait.
Sauf lorsqu'ils venaient mourir dans son hospice, trop jeunes, trop tragiques. La jeune femme baissa les yeux, le cœur au bord des lèvres. Elle pleurait de grosses larmes, les épaules tremblantes mais toujours avec un sens de la retenu désuet, inutile. A quoi ça sert de pleurer sans bruit, Elsa ? Crie ou non, peu importe, personne ne te consolera. Il n'y a que l'alcool, l'alcool oui et le regard d'un homme et de ses démons. Pourquoi étaient-ils si seuls, tous ?

 « Excusez-moi, vraiment... »

Et lorsqu'elle n'eut plus de larmes, alors seulement Elsa retrouva ses mots. Le regard un peu plus clair, les mains pâles, posées à plats sur le bois, près du verre mais pas trop, la jeune femme releva la tête.

 « Pas mal de morts... on est pas équipé pour ça ici, autant pour les soins que pour le suivi psychologique. C'était moche à voir … enfin les accidents de voiture c'est toujours comme ça, on en trouvera jamais d'esthétique. Je ne sais pas s'il y a de belles morts, même mourir dans son lit c'est sale, mais dans un hôpital...non c'est trop glauque. Paradoxal pour un lieu de soin »

Les lumières blanches, le cri des médecins, des infirmières, le bruit des roues non huilées sur les brancards de fortune qu'il avait fallu ressortir en urgence. Son propre uniforme un peu blanc, un peu gris dû aux nombreux lavages qui aura des reflets roses à la prochaine machine et, par dessous l'assouplissant et la lessive, l'odeur du sang.

 « merci pour le verre, et merci pour l'oreille... Et vous, vous allez bien ? »

Une question mélancolique par ici. Lorsqu'Elsa regardait par dessus son épaule, le visage des gens il ne lui semblait voir que des cauchemars. Ceux de la mort, comme ceux de la vie. Tous traînaient des casseroles plus grandes les unes que les autres. Elle soignait les chairs, désinfectait les plaies, recousait un peu mais les plus grandes blessures étaient à l'âme pour eux tous.

En attendant, la jeune femme se sentait hagarde, épuisée. Elle avait les yeux rouges, la bouches tordues en un rictus triste et surtout, elle avait un verre. Plein. Alors, le levant vers l'homme pour un « Santé » imaginaire, elle rejeta la tête en arrière et but cul sec.
Un incendie de l'oesophage jusqu'à l'estomac. L'odeur, le goût, tout lui retourna le cœur. Elle pensa à son père, disparu, alcoolique, à toutes les râclées qu'il lui mettait, aux gestes qu'il essayait d'avoir aussi, pas ceux d'un parent, mais il était saoul, tellement saoul. Pourtant l'alcool était bon, elle se confesserait à l'église, elle se confesserait à Dieu. Que la faute du père ne devienne pas l'héritage de la fille. Tout irait bien, oui.

Mieux en tout cas que pour les personnes mortes cette nuit.

 « Parfois je me dis que je devrais changer de boulot, peut être même partir mais bon, je sais rien faire et puis j'suis pas très dégourdie surtout. De toue manière la vie c'est toujours comme ça, à partir du moment où on a un chien noir à la place du cœur on ne peut pas vraiment trouver de repos »

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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyDim 17 Aoû - 21:01

Lyov secoue la tête, elle n’a pas à s’excuser. Il ignore comment faire, il ignore s’il doit la consoler, s’il peut simplement la toucher. Des veuves éplorées, des jeunes gens ravagés, il en avait serrés dans ses bras, les avait laissés pleurer contre lui, contre son torse. Il avait senti leurs larmes acides qui trempaient son uniforme, traçant des sillons corrosifs dans sa chaire, des tranchées fumantes dans son âme.
Mais c’était un uniforme. Un rôle. Un métier. Juste un pilier contre lequel s’effondrer. Et Lyov n’était plus ceci. Il était juste un homme déboussolé, perdu, incertain de savoir comment agir. Incertain de savoir comme les autres réagiraient. Lui, le stratège, le tacticien. Lui ne savait plus rien.

-Tu n’as pas à t’excuser.

Il ne se souvient pas s’il la tutoie, habituellement. Ca vient juste naturellement, cette fois ci, et franchement, il doute qu’elle s’en formalise.
Il attrape un paquet de mouchoirs, sous le comptoir, et le fait glisser vers elle sans le moindre commentaire, comme s’il avait l’habitude des gens qui s’effondrent sur son bar. Comme si lui-même en faisait partie.
Il l’écoute, alors que d’une main distraite il joue avec son verre, le faisant basculer en rond sur sa base, perdant sa contemplation dans l’or liquide qui y tangue.
Il n’a jamais compris le personnel médical. Le choix que l’on peut faire, de travailler dans ce domaine. Certains d’entre eux l’avaient mis face à lui-même. Et de son côté, c’était mieux? La mort, les catastrophes, le désastre humain…Ils y étaient tous confrontés à leurs manières.
Il ne sait pas vraiment ce qu’il doit répondre, ce qu’il peut répondre. Non, il n’y a pas de belle mort. Le corps lâche, les organes internes cessent de fonctionnent, le cerveau manque d’oxygène, l’organisme entier, de son carburant. C’est laid, c’est brutal, violent, quelle qu’en soit l’apparence extérieure. Même si elle semble douce. La douceur qui se lit dans la mort, c’est simplement l’absence de force pour lutter. Pour exprimer le ressenti. L’activité interne du corps qui se met à déconner.
L’absence de force, voire l’absence d’envie. Parce que même si la mort n’est pas douce, elle peut être un soulagement. Comme une lame en plein cœur qui vient abréger les souffrances. Elle n’a rien de beau. Rien de doux. Pourtant, elle est accueillie avec soulagement. Elle est redoutée, un instant. Puis remerciée. Quand la douleur a atteint un tel stade qu’on ne la ressent plus.
Un accident de voiture… Ici, il se doute que la mort n’était pas la bienvenue. Qu’elle n’était pas quémandée. Juste survenue, comme ça, au détour d’un virage, ou d’une nappe de brouillard. Entre un moment d’inattention et des vapeurs d’alcool. La faucheuse a abattu sa lame sans prévenir, ne toquant pas à la portière, mais fracassant le pare-brise sans préavis. Elle a pris ce qu’elle estimait lui revenir de droit, une âme, une vie. Des morceaux de corps, des monceaux d’existence. Elle a arraché, éviscéré des ventres affectifs, des cocons bouillonnant de sentiments. Et elle a regardé leurs contenus s’écraser contre les parois de l’habitacle, s’étaler sur le bitume, recouvrir le goudron de sa chaleur familiale. Elle l‘a observé, déclencheuse de cette décadence et témoin fasciné par ses conséquences, absorber ce liquide brûlant, cette essence relationnelle, se repaissant de leurs vies comme elle se repaissait du spectacle.
Il l’écoute. Il l’écoute mais ne répond pas à sa question. Il est hors de question qu’il se mette à parler de lui. Pas par pudeur, mais parce que c’est d’elle, dont il s’agit, à l’instant. Parce que c’est sa manière de lui montrer qu’elle n’a pas à se sentir gêné d’étaler un peu plus, si elle le souhaite, ses états d’âmes. Ce soir lui appartient. Ce soir est dédié à la noirceur de son quotidien, qu’il l’espère voir recracher dans son verre pour y remplacer le liquide ambré.
Il l’observe, d’ailleurs. Il l’observe boire, et se demande si c’était une bonne idée, au fond, de la servir. Les expressions qui passent sur son visage sont à la fois contradictoires et dès plus logiques. Le dégoût, le plaisir. L’amertume, et l’adoration malsaine de sa propre punition. Punition de quoi? De n’avoir rien pu faire, d’être toujours en vie, d’être ce que l’on est.
Combien de fois l’avait-il lu dans les goulées avides d’alcool, dans les regards avides d’une trêve?
Les paroles de la jeune femme tournent dans son crâne en une danse endiablée. Une danse du diable. Sa question aussi.
Un leitmotiv incessant qui le mène à sa première gorgée amer, histoire d’étouffer un rire cynique dans sa gorge. Est-ce qu’il allait bien? Non. Non, il n’allait pas bien, et la jeune femme le savait. Elle devait être arrivée au stade où elle partait du principe que tout le monde allait mal. Lui aussi y était. On ne pouvait pas témoigner, jours après jours, des désastres humains et des secrets dramatiques derrières les masques, sans en venir à la conclusion qu’ils étaient tous fracassés. Sans la moindre foutue exception.
Il grimace. Pourquoi? L’alcool n’en est pas la raison. Même la constatation qu’il n’a plus de goût, aussi fade que de la flotte, aux yeux du marin, n’est pas ce qui lui arrache une crispation dégoûtée.
Mais se rendre compte du point auquel la jeune femme en est, en revanche…
Pourquoi chaque chose menait-elle à sa propre destruction? Pourquoi n’y avait-il jamais rien à faire?

-Il n’y a rien de prévu pour lutter contre ça? Le manque de moyens? 

Stockholm était loin d’être une ville pauvre, et ce ne serait pas la première qu’on dépêcherait dans les petites villes, des professionnels, et du matériel. Certains plans avaient été mis en place, dans d’autres pays, pour pallier aux besoins croissants.
Alors qu’il lève son verre une seconde fois, la suite de ses propos le percutent de plein fouet, comme un tank lancé à pleine vitesse, atterrissant contre sa cage thoracique. Le parallèle avec les accidents dont elle parle lui arrache une grimace dégoutée. Dégoutée de lui-même, dont l’esprit malade ose la comparaison.
Mais il balaye vite la sensation acide, au fond de son ventre. Agressive, corrosive. Elle est chassée par les mots de la jeune femme. Son chien noir à la place du cœur.
Il essaye de comprendre, l’allusion lui échappe, mais il ne relève pas. Pas encore. L’homme se concentre plutôt sur le reste. Sur ce qu’elle avoue, met à nue.
Il secoue la tête.

-Je doute que l’on puisse qualifier quelqu’un de ta profession, confronté à ce genre d’événements jours après jours, d’autant plus dans ce contexte précaire, de personne « pas très dégourdie ». Des connaissances, théoriques et pratiques, tu en as. Bien plus que tu ne l’imagines. Tu ne t’en rends pas compte parce que pour toi, c’est une nécessité. Une nécessité d’action, sur le moment, des choses auxquelles tu es obligée de penser, des choses que tu es obligée de faire, pour sauver des vies. Si quelqu’un d’extérieur te regarde et te félicite sur tes actions, tu seras simplement scotchée et répondra que tu fais juste ce qu’on te demande de faire, ce pour quoi tu as été formé.

Il hausse les épaules, une moue approbatrice sur le visage.

-Et c’est ça qui fait toute la différence. On a tous appris des choses, on a tous des acquis. Certains ont appris à se servir de leurs mains et de leurs têtes pour construire des baraques, retaper des plomberies, réparer des voitures. Toi, tu retapes des gens. Tu les reconstruis physiquement, et tu les aides à se reconstruire psychologiquement.

Deuxième haussement d’épaule, deuxième moue approbatrice, parfaitement ironique.

-Non, c’est sûr. Tu ne sais rien faire. Tu sais juste sauver des gens.

Bien sûr, parfois ce n’est pas suffisant. Parfois c’est trop tard. Mais combien de fois cela ne l’a-t-il pas été? Combien de vies ont été sauvées?
Il ne croit pas à la capacité humaine de réparation. Il ne croit pas à la possibilité de se remettre à neuf et de ressouder les fissures de l’âme humaine. Pour lui, un type fracassé le restera toujours. Il sera éternellement déglingué, manquant de s’effondrer à chaque pas. Mais il croit à la capacité humaine de redonner la possibilité de se lever. De faire, justement, ces quelques pas difficiles. Il croit à la possibilité de faire repartir l’homme, de lui donner cette nouvelle chance. Même s’il ira vers un nouveau malheur. Un nouvel accident. Un nouvel uppercut. Au moins, il aura eu le choix. Le choix d’avancer ou d’abandonner. D’aller à droite ou à gauche. De regarder vers l’avant ou vers l’arrière. Un choix devant lequel il n’aurait jamais été, si certains ne s’étaient pas affairés sur son corps déchiqueté.
Et même si l’homme peut leur en vouloir pendant un temps, même si parfois, il préfèrerait mourir, il finirait par être conscient que ce choix là, lui appartiendrait toujours. Plus tard. Ce choix là serait le sien. Pas celui d’un terroriste. D’un fou furieux. D’un conducteur ivre. Des conséquences hasardeuses de la vie. De la faucheuse et de ses jeux malsains.
Lyov penche la tête sur le côté, comme s’il pesait le pour et le contre.

-Habituellement j’estime que lorsqu’on a ce genre de savoir, ce genre de capacités, on a un devoir et des responsabilités envers les autres. Mais le fait est qu’il y a un moment on a suffisamment pris soin des autres, et lorsque ceux-ci ne le rendent pas, et que l’aide qu’on leur apporte n’apaise pas notre âme, il est temps de respecter le devoir que l’on a envers nous même, et de tirer sa révérence. Si ton boulot ne te satisfait plus, si tu ne vois plus les vies que tu sauves mais seulement celles que tu ne peux récupérer…si tes journées sont des cauchemars, et tes nuits, au mieux des trêves, au pire, leurs prolongements… Il est peut-être temps de raccrocher, en effet. Il est peut-être temps de prendre soin de toi.

Il  se perd un instant dans ses souvenirs, plissant les yeux, et lorsqu’il reprend la parole, son accent russe habituellement très léger se fait un peu plus prononcé.

-Quand arrive le moment où tu es tellement en vrac que tu ne peux plus aider les autres…Il ne sert à rien de s’acharner. Il faut poursuivre un rêve, s’accorder un moment de répit, une bouffée d’oxygène.
Un rêve de gamin, ou d’adulte. Et si tu n’as pas de rêve, il faut t’en trouver un.

Il la toise un instant. Evitant son regard, conscient qu’elle doit le dévisager en se disant qu’il est dingue. Il n’est pas certain que ses propos soient décents, après tout, ils ne se connaissent pas. Il n’a aucun droit de lui dire quoi que ce soit. Il n’est pas non plus certain que ses propos aient un sens. Après tout, il n’y comprend plus rien lui-même.
Alors il l’observe. L’analyse. Comme il décrypterait un message, apprécierait les moindres détails d’une toile en cherchant le message caché du peintre.

-Mais si ce stade là n’est pas encore atteint…Si au fond, le boulot plaît quand même, rend accroc… Un exutoire pourrait suffire. Se plonger dans les livres et oublier un instant qu’on appartient à un autre univers, c’est bien, mais ça ne dure qu’un temps. Il faut quelque chose qui te permette de tenir le coup le reste de la journée. Le reste de la nuit.

Quelque chose ou quelqu’un, pense-t-il. Lui, c’était sa famille. Mais il sait que la jeune femme est seule. Non pas parce qu’il ne l’a jamais vu avec quelqu’un, mais parce que c’est inscrit sur son visage, dans ses gestes. C’est son aura toute entière qui dégage la solitude.
Elle est seule, avec la mort. La faucheuse qui plante son regard dans le sien lorsqu’elle travaille, hantant les couloirs de l’hôpital. La faucheuse qui plante son regard dans son dos, lorsqu’elle retourne vers la ville, le monde des « encore plus ou moins vivants », hantant ses pas.
Elle est seule avec ses démons. Son passé. Elle-même.
Elle est seule avec, et Lyov cherche encore à en comprendre le sens, son chien noir.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyMar 26 Aoû - 22:01

 « Allez vous faire foutre »

Le chien était là, dans sa gorge, tout de cris et d'écume et noir, oh tellement noir. Fragile peut être, mais décidée à reprendre bataille, Elsa releva les yeux. Non, elle n'avait pas besoin de ça, qu'on lui explique la vie. Pas alors qu'elle avait grandit sans jamais être aimée assez ou alors pas comme il faut. La vie...la vie ne resterait rien d'autre qu'une notion abstraite voilà tout. La chérir, la sauver ? Non, car Elsa n'était rien d'autre qu'une putain d'infirmière juste capable de recoudre un peu, de panser des bleus. Elle n'avait rien d'héroïque, elle ne soignait personne et surtout pas elle-même. Ce genre de discours moralisateur tendait à lui hérisser le poil : appartenir à un grand tout, quelque chose...

Pourtant, avec sa ferveur religieuse, la jeune femme aurait pu paraître encline à ce genre d'idées, mais si la foi était là, restait surtout son propre hiver forgé de coups durs et de regrets. Trop habituée à devoir se débrouiller seule, Elsa ne supportait plus qu'on l'aide ou qu'on l'a guide et cela était un défaut bien sûr, mais la jeune femme était tellement fatiguée de lutter.

 « Quoi qu'il en soit, j'ai déjà trop abusé de votre temps »

De la tristesse dans les yeux bleus, peur de décevoir l'homme lui ayant ouvert sa porte, peur de se perdre elle-même pour une vie qu'elle détestait, peur d'être heureuse, en paix. Le cœur d'Elsa battrait toujours au rythme de quelques violons d'automnes, ceux des sanglots et des feuilles mortes.  La jeune femme se releva, un deuil sur le visage. Le Russe allait-il la détester ? Bien sûr, elle avait dépassé les bornes, bien sûr elle ne s'excuserait pas, trop noyée dans ses propres tristesses, et qui pour croire que pourtant elle n'était pas méchante ? Qui ?!

Secouant la tête comme le ferait une reine de destruction, Elsa tourna les talons. Elle vacilla, épuisée, l'alcool enivrant ses sens, elle qui n'avait rien eu le temps de manger depuis plusieurs heures. Ivre, ivre comme son père, pas vrai ? Cet homme puant, toujours affalé une bouteille à la main, à attendre que la vie passe. Elle le haïssait toujours, bien qu'incapable de savoir s'il était mort ou vivant et elle, oh bien sûr qu'elle aussi elle se haïssait, car Elsa empruntait le même chemin désormais.

Une main bien appuyée contre le dossier d'une chaise, la jeune femme souffla en espérant reprendre ses esprits. Qu'elle tienne un peu, juste un peu...le temps d'ouvrir sa porte, de rentrer. D'aller à son lit et de pleurer là où personne ne pourrait la voir, de pleurer, de....

Ls larmes ont toujours un goût de sel et de fatigue, peu importe la pudeur. Jambes flageolantes, tête basse et cheveux défaits, pleurs sur les joues et tristesse aux lèvres, la jeune femme aurait pu ressembler à ces statues anonymes des cimetières figées dans un chagrin que rien, pas même le temps, n'effaçait.
De quelle vierge de pierre, sa mère enceinte et tourmentée, avait-elle décidée de faire sa fille avant même la naissance ?

 « La vie, je ne l'aurai jamais en haute estime. Ca ne m'empêchera pas de pleurer pour des décès mais.... non, laissez tomber. Vous devez me trouver idiote et vous avez raison. C'est comme ça »

Incapable d'élever la voix, Elsa parut un instant perdue dans d'autres mondes. Elle n'avait jamais porté ni flamme ni espoir, telle était la vérité. Immobile, éphémère, emprisonnée dans sa propre existence, la jeune femme ne savait qu'attendre la chute. Car elle était fille de Döskalle et en payait le prix, cette ville où dès votre plus jeune âge vous appreniez la fin de tout.

"La vie, comment la goûter lorsque vous savez que cela vous condamnerait?On meurt tous un jour, mais moi je ne veux pas. Pas avant d'avoir été heureuse au moins un peu, sauf qu'il a été décidé que cela serait ma perte et je ne comprends pas, je ne comprendrais jamais mais c'est comme ça alors non, je n'aime pas la vie, je ne la respecte pas, mon métier est une parodie de ce qu'une infirmière peut faire. Vos compliments, gardez les pour ceux qui les méritent vraiment, moi je ne suis rien, je n'ai pas le droit d'être quelque chose"
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyJeu 28 Aoû - 16:32

Lyov ne bronche pas. En temps normal, il aurait esquissé un sourire cynique et aurait éclaté sur le comptoir la tête du téméraire qui osait lui dire ça, mais pas cette fois. Malgré la bête en lui qui tirait sur ses chaînes, le loup qui hurlait sa haine à la lune sanglante élevée au dessus de l’océan de noirceur de son vécu. Malgré la gueule écumante de rage, claquant des mâchoires, happant le vide de ses crocs acérés. Malgré les entrailles fumantes de l’animal enragé qui lui rappelaient par leur brûlure, qu’il savait parfaitement ce que c’était que de se faire foutre.
L’animal gronde, la bête s'hérisse, électrique sous l’orage de sa colère.
Le goulag et les prisons l’avaient suffisamment mis en situation pour toute une vie, et il ne tolérerait pas que l’on l’y renvoie. Que l’on lui souhaite.
Respire, Lyov. Respire, mon gars. Elle ne sait pas de quoi elle parle. Elle ignore tout de ta vie.
Sa cage thoracique se soulève douloureusement tandis qu’il contrôle le moindre de ses gestes pour ne pas trahir sa plongée violente dans le torrent fielleux de ses souvenirs. Il s’y sent englouti, un instant, tiré par la cheville pour l’emmener encore plus profond, pour l’y noyer, avoir sa peau, enfin.
Inspire, expire.
Le silence se prolonge un peu, le temps qu’il avale sa salive et qu’il se sente capable de parler sans que son ton ne le trahisse. De toute façon, ça n’avait pas trop d’importance. La jeune femme avait sûrement trop bu pour s’en rendre compte.
Bien. Une bonne chose de su. L’alcool est à éviter pour elle.
Mécaniquement, il range la bouteille, conscient d’ignorer Elsa un peu trop longtemps. Lui aussi devrait éviter le Whisky.
Puis il se tourne enfin vers elle, prenant appuie sur le comptoir en écartant les mains, plongeant son regard de glace dans celui de la jeune femme. Le bleu a viré à l’acier, tranchant comme un katana.

-Je ne te trouve pas idiote. Je ne te dis pas que la vie est un cadeau, qu’elle vaut tout l’or du monde, et que tu participes à sa préservation. Je te dis que la vie et une belle salope qui n’épargne personne. C’est une punition qu’aucun ne mérite. Mais justement. On s’en prend plein la gueule en permanence, alors y a deux solutions. On peut devenir une victime. Soit en s’effondrant dans un coin et en geignant sur notre sort, soit en nourrissant le cercle vicieux de la haine, se disant que de peur d’être de nouveau victime on va devenir bourreau. Dans le premier cas, on s’enferme dans une cage, et la vie n’a plus rien à faire, juste se mettre dans un coin et se gausser de nous pendant qu’on fait son job, nous auto-flagellant, nous autodétruisant en subissant encore et toujours les conséquences de nos traumatismes. Dans le second cas, on se fait fracasser par la vie avant de s’engager comme soldat volontaire pour elle, afin de détruire les autres. Non seulement elle nous marche sur la gueule, mais elle se sert de nous comme d’un instrument de destruction pour marcher sur la gueule des autres. On est victime de nos pulsions, victime de notre vision de nous même, victime consentante de la vie, et on créée de nouvelles victimes. Ou alors, ou alors…Ou alors on peut se relever. On peut briser ce cercle vicieux. On peut prendre notre plus belle revanche sur la vie, en faisant quelque chose de beau de nos dix doigts, de notre esprit, en apportant aux autres, pour eux, mais aussi pour nous. Non, la vie n’est pas précieuse. La vie est une pute. Mais quitte à se faire enculer autant lui rendre la monnaie de sa pièce. Autant  lui retirer son plaisir, ses conséquences. Autant en ressortir plus fort. Elle finira par nous mettre tous K.O. Mais ce n’est pas la finalité du combat, qui compte. C’est comment tu te relèves, à chaque fois, comment tu esquives, comment tu encaisses. Comment tu distribues tes propres coups. Comment tu la prives du plaisir de te détruire. De te voir te coucher au premier round.

Il secoue la tête. Il a sa vision des choses bien particulière. Il a son esprit de combattant. Pas certain que ses mots parlent à la jeune femme. Pas certain qu’il devrait les prononcer tout court. Il n’a bu que peu d’alcool, mais mélangé à sa colère, sa frustration, la douleur de son vécu à nouveau réveillée… l’explosion n’est pas loin, il sent l’étincelle de la rage dévorer la mèche du bâton de dynamite qu’il est devenu.

-Tu dis que le bonheur causera ta perte. Au final, c’est le cas pour tout le monde. On se prend toujours un revers un jour ou l’autre. On finit toujours par connaître une souffrance que l’on n’aurait pas connu si on n’avait pas pris le risque d’être heureux. Peut-être même qu’il s’agit de mort, et non de souffrance. Mais quitte à mourir un jour, autant ne pas avoir craché sur le bonheur. Quitte à mourir un jour, autant s’être gavé du rare bonheur que l’on a pu avoir. Rien ne dit que ta perte sera causée par ton premier bonheur. Peut-être en connaitras-tu tout un tas, avant. Par contre, si tu te les refuses constamment, alors oui. La première fois sera la dernière. Tu t’empêches de vivre pour ne pas mourir, et au final l’inévitable viendra, avec ses regrets, ses remords. Il viendra, et tu regarderas en arrière en te disant « merde, la dernière fois fut l’unique, j’aurais dû en profiter plus tôt, j’aurais dû l’accepter plus tôt. J’aurais dû prendre le risque, oui. Me gaver de bonheur lorsque j’en ai eu l’occasion au lieu de le refouler et passer à côté du seul intérêt de l’existence. Au lieu de traîner mes tristesses, mes peurs, mes douleurs jusqu’à finalement céder, à cette unique et première fois. Cette dernière fois. » Je ne juge pas, Elsa. Je ne vais pas te dire ce que tu dois faire ou ne pas faire. Libre à toi. Je ne connais ni ton vécu, ni tes peurs. Et je vais t’épargner le discours du mec plus âgé qui a vécu avant. J’ai vécu avant, oui, mais ça ne signifie pas que je sais la moitié de ce que tu sais dans ton domaine. Chacun ses expériences, chacun ses blessures. Mais je peux te dire une chose. Condamné, je l’ai été à la naissance. J’ai vu les dégâts que le bonheur arraché aux gens pouvait causer. Pourtant lorsque j’en ai eu l’occasion, j’ai choisi d’être heureux. J’ai choisi de bâtir. Et la vie m’a tout repris, encore. Pourtant je ne regrette pas ça. Des remords, j’en ai. Mais en aucun cas celui d’avoir saisit le bonheur au moment où il se présentait. Parce que je sais que cette chienne de vie aurait trouvé un autre moyen de me fracasser si j’avais joué la carte de la prudence et que je l’avais fuit. Elle m’aurait atteint autrement, ou tout simplement en me regardant passer mon existence à me priver de vivre et d’être heureux de peur de souffrir. A me regarder faire de ma vie ce qu’elle n’avait même plus à s’acharner à faire.

Il hausse les épaules et tourne les paumes de ses mains vers le ciel, toujours en prenant appuie sur le comptoir.

-Tu prends, tu prends pas… Je te dis simplement comment je vois les choses. Condamné on l’est tous. Quitte à se faire baiser autant y prendre un peu de plaisir. C’est mon point de vue.

Il la pointe du doigt, son air se faisant plus sombre, ignorant les larmes qui coulaient sur les joues de la jeune femme pour ne pas perdre le fil de ses pensées.

-En revanche, il y a un point sur lequel je ne dérogerais pas, c’est ta valeur. Je ne te fais pas de compliments, je donne juste des faits. Je dis ce qu’il en est. Tu offres une chance aux gens de se relever et de reprendre une revanche. C’est peut-être pas ton point de vue, mais ça peut être le leur. Et c’est tout ce qui compte. Quant aux droits que tu as ou non, c’est pareil pour tout le monde. Dans ce monde, un droit ne s’obtient qu’en théorie. Il faut le saisir soi-même. Certains sont des numéros dans une liste dès leurs naissances. On leurs dit « tu n’existes pas. Tu n’es rien. » Eh bien, ce droit, ils le prennent eux-mêmes. Ils vont le chercher. Et ils finissent par exister.

Seigneur, il n’avait jamais autant parlé de sa vie.
Lyov sors un paquet de mouchoir qu’il écrase sur le comptoir avant de lui indiquer, cette fois, la banquette d’un boxe. Une invitation à sécher ses larmes. A rester.
Libre à elle. Si elle veut partir, elle en est libre. Si elle veut rester, elle le peut.
Elle avait tous les droits qu’elle s’autoriserait à prendre.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyJeu 4 Sep - 0:16

Droite, fière comme seul un cœur blessé peut encore l'être, Elsa tourna les talons, acceptant de faire face à nouveau à l'homme. Ce simple geste lui en coûtait, elle toujours trop sombre et réservée, elle qui entendait parler d'amour, passion et amitié sans vraiment y goûter. Parce que la jeune femme n'était pas de ceux que l'on accepte d'aider. Une fois de temps en temps peut être, juste comme ça, parce que c'est vrai qu'au fond, cette femme-enfant elle fait pitié mais...tout le temps ? Non, il y a des âmes bien plus belles pour de tels gestes, des qui peuvent encore être sauvées, ce qu'Elsa ne sera jamais.
Les yeux clairs d'alcool et de tristesse, la jeune femme croisa les bras. Il y avait les chiens, trop de chiens pour la dévorer et Elsa saignait de toutes parts. Sauf que ça ne se voyait jamais, qu'on s'en foutait. Pas assez belle pour ça, pas assez intéressante pour ça. Mais son molosse, Lyov le retenait, l'entravait alors même que ses crocs invisibles claquaient aux oreilles de l'insolente. Elle allait toujours trop loin, un héritage de son père d'une certaine façon, souvenir de ses disputes incessantes avec l'ivrogne. Au fil des années, cela avait modelé sa vision du monde dans lequel Elsa ne voyait qu'un champs de bataille. Elle comprenait ce que l'homme lui disait, elle approuvait même d'un certain côté, juste que...

Qu'elle n'y arrivait pas.

Les montagnes s'écroulaient, certes mais sur elle, en elle. Glaces et tempêtes, de quoi faire hurler les chien toujours plus fort. Ainsi que l'on monte à l'échafaud, la jeune femme prit place sur la banquette. Le silence plana quelques instants, comme une lame et un poison tout à la fois. Puis, Elsa sourit, déchirée, tordue de l'intérieur, meurtrie jusqu'au point de non retour.

 « Seigneur, Lyov... Je n'ose même pas imaginer tout ce que vous avez perdu pour donner ainsi votre énergie à me sauver, moi. Sauf que vous n'allez rien expier, j'en vaux pas assez la peine et je m'en excuse. Je suis juste une pauvre fille mal dans sa peau »

Qui vivait jour après jour au milieu des cauchemars et de la solitude mais ça, ça ne s'expliquait pas. La ligne était franchie, Elsa ne pouvait revenir en arrière. Vingt-six ans, trop vieille pour enfin vivre sa vie, trop vieille pour trouver un homme capable de l'apprivoiser, lui faire comprendre qu'avant la mort, il y a la vie, il y a la mort aussi. Trop vieille, toujours trop vieille, elle qui détournait les yeux devant un miroir, laissait à peine ses propres mains sur son corps nu et tremblait de froid pour chaque seconde de chaque jour. La jeune femme hésitait parfois à se pendre ou pire, remplir ses poches de cailloux et courir, courir jusqu'à sa perte là, dans l'eau noire et dormante avec dans les yeux, les secrets des sombres étangs.

 « On m'a pas appris à me battre, juste prendre des coups et le cacher... »

Son père, l'haleine avinée, ses mains comme deux battoirs et elle, souris, musaraigne, qui se prenait une claque ou deux, saignait du nez, des lèvres et du cœur mais esquivait bien vite, elle qui apprenait à vivre sous les injures et la tristesse trop grande, elle qui voyait le monde proche, si proche, sans personne pour l'aider malgré tout.

 « J'ai...voulu changer d'avis, saisir le bonheur comme vous dites sauf que quand j'ai tendu la main c'était trop tard. Plus personne ne faisait attention à moi, j'suis condamnée à finir ma vie ici, ou dans un quelconque coin paumé, sans avoir profité. J'ai pas su et je sais qu c'est ma faute, ma putain de faute...Sauf que j'avais sept ans, je pouvais pas comprendre. »

Et tant pis si Elsa devenait incompréhensible, de toute manière il n'y avait pas grand chose à saisir. Certaines vies étaient des abominations, le secret s'arrêtait là.

 « Je ne suis pas prudente, je suis désespérée.... Et puis merde, de toute façon on s'en fout. Demain je retournerai travailler, on continuera à dire de moi que je suis la salope sans cœur et ce sera putain de vrai. Sincèrement, priez pour ne jamais rêver, ça vaut mieux. Surtout ici.... »

Elle avait soif de vie, elle avait faim de tout. Alors, comme un salut aux armes, la jeune femme se déchira d'un sourire. Trop de tristesse dedans, trop de mal être pour qu'il soit beau. C'était là sourire d'esprit, sourire de fantôme...

 « Vous semblez bien plus aider les gens à se relever que je ne le fais... Ici, tout ce que je soigne ce sont des petits bleus, pas sûr que je supporterais autre chose. Je suis vraiment désolée, je vous ai pourri votre soirée... »
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyDim 7 Sep - 13:54

Lyov la regarde se retourner, de ce geste plein d’une dignité à laquelle elle ne croit plus, s’y accrochant pourtant comme s’il s’agissait des dernières traces de glue qui maintiennent les lambeaux de son âme entre eux.
Le sourire tremblotant semble déchirer les traits doux de la jeune femme, et le cœur de l’homme à la fois.
Seigneur Lyov? Pendant un instant il se demande si c’est ironique. Pourtant, pas la moindre trace de mépris au fond de sa voix. Pas de dégoût sur son visage presque enfantin. Pas envers lui, en tout cas.
Il se plonge un instant dans ses yeux, y décelant une lutte sans merci, une souffrance bouillonnante, purulente. Il les voit presque, ces chiens. Ces chiens qu’elle tente de museler et qui la dévorent avec hargne, affamés de sa chaire trop tendre, de son sang trop chaud.

-Je ne cherche pas à expier quoi que ce soit.

Le cherche-t-il ? Il l’ignore. Bien sûr, qu’il tente d’expier ses fautes. Bien sûr qu’il veut exorciser ses vices et ses pêchés. Bien sûr que chaque acte, chaque juste cause, chaque foutue simple chose devient un exutoire. Mais avec elle, en l’instant… le cherche-t-il? Ou veut-il simplement lui éviter de passer à côté de sa vie, de faire les erreurs qu’il a longtemps commises, qu’il a toujours regrettées? Veut-il s’aider lui-même, veut-il l’aider elle? Un peu des deux, peut-être? Lyov l’ignore. Lyov est perdu. Dans les yeux clairs de la jeune femme, dans la tristesse qui semble vouloir en déborder mais qui s’y contente de briller en une écume cristalline, presque trop pure, presque trop limpide pour une eau censée refléter les tréfonds de ses secrets. C’est son âme qu’elle reflète. Cette âme que le russe perçoit belle, éclatante, étincelante d’une luminosité que l’obscurité ambiante de la vie semble constamment vouloir étouffer. Cette luminosité rongée par les ténèbres aveuglants, empêchant la jeune femme de l’apercevoir, de s’en savoir la source.

-Je sais que quoi que je pourrais dire, tu ne me croiras pas. Et tant de certitudes aussi sombres, tant d’absence d’estime…m’attristent.

Me foutent les boules. Voilà ce qu’il aurait aimé dire. Ca lui fout les glandes, de la savoir ainsi. Aussi détruite. Aussi blessée.
Savoir que la vie a tranché sans fioriture dans le flanc de son égo, la laissant se vider de son amour propre, du peu d’estime d’elle qui n’était que le pale reflet de ce qu’elle aurait dû avoir, un millième de ce qu’on aurait dû lui transmettre. Faire épanouir, chez elle, comme des fleurs sauvages et exotiques dans son jardin d’enfance. Mais ce n’est que les ronces, qui semblent y avoir poussé. Des ronces lacérantes, asphyxiantes, qui enserrent son âme comme du fil barbelé rasoir. Des buissons dévoreurs de chair et d’esprit qui étendent incontestablement leur emprise, jour après jour, vénéneux, secs, presque morts, s’étendant sur son âme et se nourrissant du moindre brin de vie pour subsister un peu plus la dévorer encore, la consumer et la recouvrir de mauvaises herbes, un tombeau en constante agonie pour un être enterré, qui a fini par oublier qu’il l’a été vivant.

-Mais toi aussi, tu pourras me dire ce que tu veux… Je sais que tu en vaux la peine. Je le sais.

Ce ne sont pas de bons arguments. En fait, ce ne sont pas des arguments tout court. Mais que peut-il lui offrir de plus que son ressenti brute, là, tout de suite? Ses blessures qui se rouvrent et suintent de mélancolie, de tristesse pour son âme égarée, pour sa vision d’elle-même, pour ses terreurs qui se lisent et contrastent sur ses traits enfantins, comme une écriture acérée sur du papier d‘écolier, vive, coupante, aux lettres pointues et tracées à la lame du couteau, déchirant presque son support fragile?

-Tu ne devrais pas être mal dans ta peau. Je ne dis pas que tu n’as aucune raison de l’être au niveau de ton vécu. Je ne dis pas qu’il ne t’est rien arrivé. J’ignore tout de ta vie. Ce que je dis, c’est quoi que l’on t’ai fait, ce n’est pas toi. J’ai discuté un peu avec toi. Tu es cultivée, intelligente. Tu es une belle jeune femme. Tu as un avenir. Un avenir qui a une fin, certes, comme pour tout le monde. Mais tu as un avenir. Une vie. Et tellement de potentiel. Un potentiel que tu ne vois pas, et cela t’empêche de te construire, de développer cette vie qui pourrait s’offrir à toi, ce bonheur. La fin de notre avenir, on va tous y arriver…l’idée que tu l’atteignes avant même d’avoir vécu, en passant à côté de tout ce que ton potentiel aurait pu t’offrir…

Il secoue la tête, les yeux plissés de tristesse.

-Tu es jeune, il n’est pas trop tard pour se construire. Au final, il n’est trop tard que lorsqu’on a buté contre la ligne de fin. Mais tu peux encore commencer à créer. Poser les bases de ce que tu veux. Et comprendre, sentir, au plus profond de toi, que plus qu’un besoin, plus qu’un désir, c’est un droit. Tu as le droit d’y aspirer. Tu as le droit d’y gouter.

Ses doigts jouent avec la table en bois, suivent les nœuds, les rainures, redessinent les tâches laissées par les pintes posées sans dessous de verre.
La réalité de la situation lui échappe, elle glisse entre ses mains, l’effleure, comme un panache de fumée qu’il tente de saisir. Tout semble irréel, il déconnecte. Cherchant à se rappeler comme ils en sont arrivés là. Elle qui débarque au beau milieu de la nuit et la situation qui monte, crescendo, la colère, le dégoût, le désespoir. Qui monte d’un coup, comme une explosion, sans signe avant coureur. Un TGV que l’on voit arriver de loin sans remarquer qu’il n’est plus sur ses rails, sans remarquer qu’il fonce droit sur nous, et termine finalement sa course dans un mur, avec nous en témoin hébété à cinq mètres de là, où en dommage collatéral, pris en sandwich entre les parpaings en miettes et les tonnes de ferrailles pliées.
Pourtant le TGV semble avoir ralenti. Semble avoir tiré la sonnette d’alarme. Peut-il éviter le crash? Peut-il modifier sa trajectoire, le cour des choses?
Lyov cherche ses mots, ébranlé par une situation à laquelle il ne s’attendait pas, et en prononce d’autres, comme si, en lui, une partie de son être avait tenté de sauver les meubles, prendre les commandes, décidé d’agir, enfin, pour ne pas laisser la jeune femme venue demander de l’aide, se noyer dans sa solitude.
Lyov doit assurer. Il l’a toujours fait. Il a négocié avec des esprits en colère. Il a joué les médiateurs pour des êtres perdus en plein pétage de boulon. Il a calmé des individus désespérés, ramené à la raison des gens qui ne semblaient plus en avoir, et désamorcé des situations qui semblaient irrécupérables. Pourquoi est-ce si différent? Pourquoi ne peut-il pas analyser son comportement, lui dire ce qu’elle a besoin d’entendre, et la renvoyer dans un fourgon de police en la casant dans le dossier « boulot quotidien », avant de rentrer chez lui en tentant de l’oublier? Pourquoi le fait de vouloir l’aider à ce point, le fait qu’elle ne soit pas une mission, un travail, ampute par la même occasion les qualités dont il aurait besoin pour l’aider?
Pourquoi est-il si bon à aider des inconnus, des gens dont la plupart du temps, il se fout, voire même qu’il méprise, s’il est incapable d’aider ceux qui comptent vraiment?

-Je ne sais pas ce que tu as vécu, mais tu es toujours debout. Tu as appris à te battre, si. A ta manière, peut-être. Tu as survécu. La vie est le plus violent des adversaires. Peut-être que tu ne sais pas distribuer des revers à tours de bras, mais pour ça non plus il n’est pas trop tard. Au moins, tu sais encaisser et te relever. Tu sais te remettre debout. Si tu as voulu plus, à un moment, tu le peux encore. Et cette main que tu as tendu, si tu me le permets, j’aimerais la saisir. J’aimerais t’y aider. Faire un bout de chemin avec toi, un bout de combat.

Il fronce les sourcils, cependant, la fin du discours de la jeune femme lui monte au cerveau. Parle-t-elle d’un évènement particulier arrivé à ses sept ans, ou ce fameux rêve qui se produit à ce moment là?
La suite lui donne sa réponse.
Mais il a rêvé. Il a déjà rêvé. Et il ne sait toujours pas vraiment comment se sentir par rapport à ça. Au fond, il l’a enterré, son rêve. Il a fait l’autruche Pas parce que la fin l’horrifiait, mais parce qu’il y avait cet arrière goût amer, au réveil. Cette réalité qui fait mal. Cette vie qui lui susurre à l’oreille d’un ton sadique « tu continues de te battre avec espoir, mais regarde où ça te mène. Regarde comme rien n’a changé. Comme tu n’as eu aucun impact. Comme tu n’en peux plus, vraiment. Comme je t’ai eu, à l’usure. » Il l’a enfoui parce qu’il ne veut pas que ça ait d’impact sur sa vie. Sur sa façon d’agir, présentement. Parce que comme il lui a dit, il ne veut pas passer à côté du reste, focalisé sur la scène finale. Ce n’est pas parce qu’un beau jour il pète un boulon, qu’il n’a plus rien à vivre avant.
Pourtant une partie de lui se demande ce que ça aurait donné, s’il avait fait ce rêve à 7 ans. Comment il aurait pu évoluer. Comment un enfant est censé grandir sainement, s’épanouir, lorsqu’il aperçoit les circonstances de sa mort? Lorsque celle-ci est dessinée, peinte, parfois dans toute sa brutalité, toute son horreur, sa trahison. Lorsqu’elle semble datée, précisément ou non, par des détails, des mots, des apparences. Lorsque le film se déroule à l’envers et que tout ce que l’on fait, respire, dit, semble nous mener inexorablement à ce point de chute. Lorsqu’on sait que quoi qu’on fasse, on terminera ainsi.
Comment peut-on vivre alors qu’on court vers la mort avec la mort aux trousses?
Grandir avec la faucheuse comme compagnon de cellule, comme veilleuse dans la nuit de sa solitude, comme la moins imaginaire de ses amis?
Comment, pour commencer, les parents peuvent-ils laisser leurs enfants vivre ici, ainsi?

-Si les autres tiennent ce genre de discours, c’est qu’ils n’en valent peut-être pas la peine, eux. Leur opinion n‘importe pas, car les gens qui importent n’ont pas celles-ci. Pour ce qui est de ton rêve, j’en ignore tout, mais je maintiens que faire de cette finalité son point de focalisation, c’est faire de sa mort son présent, c’est mourir constamment et passer à côté de tout, arriver à destination en se rendant compte qu’on n’a jamais fait le voyage, puisqu’on a toujours été ici, mentalement, qu’on n’a rien vu d’autre, rien connu d’autre. Qu’on était mort avant de l’être cliniquement. Et que de la vie, on ne connaît au final que ce qu’on a tenté d’éviter, de repousser, que ce qui nous a terrifié, hanté.

Il secoue la tête, esquissant un sourire triste, baissant son regard sur la table qu’il observe sans voir, avant de remonter planter ses yeux bleus glace dans ceux de la jeune femme. C’est l’océan, qui s’ancre, cette fois-ci.

-Je ne sais pas si j’aide les gens. J’essaye, sincèrement. Parce que moi-même je n’aurais pu me relever si j’avais été seul. Et je suis persuadée que tu apportes aux gens plus que tu ne le penses. Et si tu prenais confiance en toi, si tu te voyais tel que tu es, ou du moins, si tu me le permets, tel que moi je te vois, tu pourrais faire plus encore.

Il secoue de nouveau la tête et étouffe un petit rire, pas vraiment amusé. Pourtant, il tente d’en donner l’éclat à ses yeux, un peu. Juste pour essayer d’égayer la jeune femme.

-Tu n’as pas pourri ma soirée. Certainement pas. Ne t’excuse de rien.

En fait, peut-être même qu’elle l’a sauvée.
Et lui? Peut-il sauver la sienne?
Peut-il la sauver elle?

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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyMar 9 Sep - 14:50

Ils s'observaient depuis deux rivages séparés et, entre eux, un océan de tristesse. Quelques perles y brillaient dans le fond, comme des larmes, celles versées, déjà oubliées, celle qu'on retient aussi par pudeur, par désespoir, parce que. Elle le regardait, l'homme triste, l'étranger, elle l'écoutait aussi, mais mettre des mots sur la souffrance ne soignait pas, ils le savaient. Alors, Lyov parlait d'amour, celui de son prochain, celui qu'on oubliait toujours. Elsa le connaissait peu, ils discutaient de temps à autres bien sûr, parfois elle venait le soigner pour une blessure qui ne regardait que lui, parfois il la regardait boire comme on regarde une amie. C'est pour ça, toute l'affection qu'il donnait aux mots, toute l'envie de vivre non pas pour lui, mais pour elle, elle ne comprenait pas. Animal solitaire depuis sa naissance, Elsa savait trop peu de choses des mécanismes d'amitié : consoler, aider, épauler. Elle, elle ne savait que soigner de manière froide, imprécise, impersonnelle, du moins le croyait-elle.
C'était pour ça qu'elle se mourait un peu, touchée en plein cœur, écartelée de se voir dans les yeux d'un autre, d'exister au delà de la simple ombre. Ce qu'elle ne savait pas donner aux autres, Lyov lui le pouvait....

 « Vous venez de tuer complètement votre réputation d'ours mal léché... »

Elle porta son sourire comme l'on porte un bijou, un collier, quelque chose de beau mais si facile à briser, perdre, enlever. Pourtant, courageusement elle le garda, les coins de la bouche tressautant un peu, les yeux comme deux oiseaux affolés.

 « Ce que je veux ? Comme tout le monde je pense, aimer, être aimée..... Ce qui permet de vivre plutôt que de survivre. »

La folie de sa mère, l'assassinat dans la nuit, les bruits étouffés sous l'oreiller et la silhouette du père, trop grande, trop massive, les larmes aux yeux lui aussi alors qu'Elsa observait par la porte entrebaillée. L'enfance, l'adolescence, esquiver les coups, recevoir les insultes, le regard des garçons au lycée sans que pourtant on ne s'intéresse à elle, l'impression de se noyer...comment on fait pour être aimé ? Une vie banale pourtant, triste, morne et sans espoir....

 « Mais j'ai fait mon rêve, et c'est dans les bras d'un homme que je dois mourir. Je ne me souviens pas de son visage, juste que....bon voilà quoi.... et puis le sentiment de solitude malgré tout, juste avant que ça s'arrête, la vie. Ma vie. »

Pourquoi avait-elle dit ça ? A présent Elsa rougissait de son audace, d'avoir dévoilé quelque chose de si intime et dont au fond tout le monde se fout. La voix de la jeune femme était basse, à présent ne restait que le silence. Il y avait sa respiration bien sûr, les mains de l'homme aussi avec leurs sarabandes endiablées sur le comptoir comme pour y puiser un peu de vie, et rien d'autre. Et puis il la regarde, et oui ses yeux sont bleus, comme les siens. Juste un peu plus vieux, juste beaucoup plus sages. Il lui fait ses propres confidences sur le fait de s'être relevé. Elsa est confuse, comment imaginer quelqu'un comme Lyov à terre ? Grand, moins massif que certains, il a sa propre puissance cependant.
Ses yeux allaient et venaient du visage de l'homme, à ses mains jusqu'à la carcasse bien campée sur ses jambes. Elle le regardait comme une gamine aurait pu le faire de Superman juste après qu'il soit redevenu Clark Kent sous ses yeux. C'est réellement humain, ça ? C'est faillible ? Non pas possible, parce que c'est un héros, un super héros qui te sert des whiskys sans glace ou bien de la limonade quand vraiment il fait trop chaud. Qui te redonne une bière quand tu renverses la tienne et que c'est pas grave, pas la peine de culpabiliser. Qui regarde que tout va bien, tout le temps, qui est là et qui protège....
Et il ouvre sa porte le soir aux démons de la nuit et aux personnes mortes de l'intérieur quand ce serait pourtant tellement simple de refuser.

 « Bon dieu... »

Les larmes lui débordaient du cœur à nouveau, et aussi un peu des yeux. Faisait-elle autre chose, dans cette putain de vie que chialer ?!

 « J'aimerai bien me relever, oui... j'ai envie d'accepter et j'ai peur. Parce que si je le fais, je sourirais à nouveau et au début ce sera forcé, juste pour s'y habituer...après ce sera plus sincère. Jusqu'à ce que la merde commence, alors je devrais feindre d'être contente avec tout ce que j'ai, comme maintenant. Contente avec mes livres, mes silences et rien d'autre, un mensonge. Continuer encore, toujours, parce que si je me suis relevée une fois je peux le faire encore alors je ferme ma gueule et j'avance. Les gens pensent déjà que je suis heureuse, que j'ai tout pour moi, je ne peux pas les appeler à l'aide »

Pourtant, cela ne l'empêcha pas d'attraper le poignet du russe, comme l'on supplie pour sa vie. Elsa avait les ongles courts, rongés. Cela ne se voyait pas lorsque la jeune femme était à l'hospice, les mains toujours en mouvement. Là, impossible de le cacher. Certains possédaient des blessures de guerre, Elsa avait celles d'un animal. Un renard  prix au piège, obligé de ronger le membre attaché pour se libérer.

 « Vous faites comment, vous, lorsque vous vous écroulez encore ? J'ai soigné certaines de vos blessures, certaines que vous avez infligé à d'autres aussi. Vous êtes forts, mais parfois on a juste envie d'abandonner pas vrai ? Vous savez, vous, quand arrêter de sourire avant que ça ne devienne trop dangereux ? Arrêter d'être calme et savoir comment se regarder dans le miroir, voir le reflet derrière le masque.... »

Mais derrière à elle, il n'y a que sa douceur à lui, amère et brûlante, comme pour donner des ailes aux oiseaux égarés. Elle ne pouvait pas savoir qu'il vacillait, qu'il souffrait, elle ne pouvait pas comprendre. Et sa main restait accrochée, les doigts tremblants, eux non plus qui ne savaient pas comment être tenus.

 « Mince, j'ose pas imaginer ce que c'est une soirée pourrie alors, si ça, ça va encore... »

Et de nouveau elle éclata de rire, comme pour s'éloigner de tout ça, des sujets sérieux, des réponses faisant peur, de l'obligation de se regarder en face. La main lâcha le poignet, Elsa avait remis son masque.

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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyJeu 11 Sep - 1:37

Lyov ne peut s'empêcher de s'esclaffer, son rire, étrangement léger pour un homme de sa carrure, est comme une brise fraîche qui vient apaiser les brûlures mordantes de l'astre diurne.

-Non, pas ma réputation!

Un air faussement paniqué, un trait d'humour comme un trait d'union entre eux deux, un sourire jusqu'au coin des yeux qui étincelle dans leurs prunelles, qui brille sur les iris humidifiés par la tristesse ambiante, comme le reflet des étoiles sur un océan apaisé.
Lyov veut entretenir la flamme, le soupçon de légèreté qui vient de s'instaurer, et il y met toute sa force, toute sa volonté, pour garder dans ses yeux et ses traits, le sourire qu'elle y a fait naître.
Puis un doigt menaçant pointé vers elle, un froncement de sourcil qui n'assombrit pas l'éclat joueur au fond de ses yeux.
Non, l'éclat de joie. C'est de la joie.

-Ca reste entre nous.

Et de nouveau, le sourire, le visage qui se détend, le regard débordant de bonnes intentions qui la couve, qui l'enveloppe dans la chaleur humaine qu'il tente de lui faire sentir. Qu'il sent, pour sa part, irradier par tous les pores de sa peau, dispersée par les pulsations de son cœur, balayant tout obstacle devant elle, faisant imploser sa cage thoracique.
Sérieux, il le redevient assez vite, sans se départir de cette nouvelle aura, néanmoins.
Il acquiesce d'un signe de tête, à l'écoute, particulièrement attentif, comme un conseiller d'orientation en réunion.
Pourtant, comment pourrait-il la conseiller, ne connaissant rien de son vécu? Comment pourrait-il la conseiller, au vu du sien? Il ne peut que lui montrer du doigt ses propres erreurs et lui dire d'essayer d'éviter de faire les mêmes. Autant qu'elle le puisse.

-C'est bien, déjà, que tu reconnaisses ce désir, et que tu aies conscience de sa valeur.

Il se tait, l'écoute. Ça lui fait bizarre, un instant, car l'image de ce qu'elle décrit sans détail lui traverse les pensées, s'inscrit derrière ses paupières. Il a l'impression de violer son intimité pendant un moment, mais se refuse à détourner le regard. Il ne veut pas la mettre mal à l'aise.

-Le fait que ton rêve te place dans une telle situation... Ça ne signifie pas que la prochaine se présentant à toi aura, irrémédiablement, cette fin. Et le sentiment de solitude... ne signifie pas non plus qu'il résume ta vie. Tu as la possibilité de connaître tellement d'échanges, tellement d'amour et de joies. Ne t'en prive pas de peur de voir la mort arriver plus vite. Peut-être y aura-t-il une étreinte finale oui... mais c'est à toi de décider ce qu'elle doit clôturer. Une vie à esquiver les bénéfices de l'existence, ou une une vie qui en serait remplie. Une vie dans laquelle tu aurais mordu à pleine dents, justement pour profiter, pour connaître autre chose, pour pouvoir clôturer avec le moins de regrets, le moins de remords possible. Parce que finalement si l'instant doit arriver, il arrivera et...la seule chose sur laquelle tu auras de l'emprise, ce sera sur le bilan que tu pourras faire de ta vie.

Il secoue la tête. Quoi que. Au vu des derniers évènements, rien n'est moins sûr.
Le ton est grave, de nouveau. C'est étrange cet instant. Un moment qui semble sortir de la course du temps. Un moment, une scène où les acteurs disent "Stop". Stop au temps, stop au monde qui cesse un instant de tourner. Stop à l'univers qui se fige et les fixe. Parce qu'ils parlent de la mort, là. Ils parlent de comment la vivre. Comment vivre avant. Comment la rentabiliser. Marchander avec la faucheuse, commercer avec le diable. Comment en tirer le meilleur prix.
Lyov, lui, a hypothéqué la sienne depuis bien longtemps. Il en a sauvé tellement d'autres. Il en a pris tellement d'autres.
Le commerce des vies, c'était son domaine de prédilection.
Elle le sort de ses pensées, avec son regard plein de larmes et son appel à une force supérieure.
Et l'univers se remet à tourner, tout à coup. Le temps reprend son cours.
Parce qu'au fond, ils ne parlent que de la mort.

-Ou alors tu peux dire la vérité. Tu n'es pas obligée de toujours sourire. Tu n'es pas obligée de toujours feindre. De faire semblant pour les autres. Si les autres ont besoin que tu portes un masque pour satisfaire à leur nécessité de faux-semblants, toi, tu n'as pas besoin d'eux. Ils ne peuvent rien t'apporter. En revanche, si tu laisses tomber les apparences, un instant...si tu appelles à l'aide, des gens te répondront. Peut-être seront-ils surpris, mais ils te répondront. Moi, je te répondrais. Les personnes pour qui tu comptes ne veulent pas te voir porter de masque et faire semblant d'être heureuse. Ils ne veulent pas que tu enterres tes douleurs et les laissent te torturer de l'intérieur. Ceux qui préfèrent cette solution ne compte pas, eux. Tu ne leurs dois rien. Et si tu goutes un peu au bonheur, avant de retomber, ce sera déjà ça de pris. Tu te diras que la chute est plus douloureuse, tu te diras que tu aurais mieux fait de ne pas y toucher, pourtant... pourtant tu te relèveras, parce que tu en as les capacités, et tu verras que toutes les chutes valent bien un seul de ces instants. Mais à aucun moment tu ne seras obligée de remettre un masque. Personne n'a le droit de l'exiger de toi.

Il s'arrête un instant pour secouer la tête.

-Tu peux te permettre d'appeler à l'aide. Tu peux te permettre de gouter au bonheur. Tu peux te permettre de chuter, une nouvelle fois. Et de te relever. De te relever en tendant une nouvelle main, en demandant de l'aide, en acceptant celles qui viendront à toi. Et retoucher un peu au bonheur. Des merdes, il y en aura toujours. La question, c'est surtout de savoir si on ne veut que de ça, ou si on veut s'arracher pour avoir le reste.

Il lui sourit, tendrement, ses lèvres tremblotantes, son regard aqueux.

-Et toi tu le veux, tu viens de le dire. Et si tu ne crois pas en tes capacités, j'y crois pour deux. Quant aux mains qui se tendent et s'abaissent... La mienne sera toujours là. Tu sais où la trouver.

Et il le pense. Il le pense du plus profond de son être.
L'homme sursaute presque lorsqu'elle lui attrape le poignet, surpris par l'initiative. Il remarque rapidement sa poigne forte et ses ongles rongés trahissant ses angoisses. Son regard est aspiré par celui de la jeune femme, si bien qu'il ressent à peine le contact de sa paume contre son avant-bras qu'elle parvient à enserrer malgré la massivité de celui-ci. Il se laisse hypnotiser, un instant, par les deux océans qui sondent les profondeurs du sien, et semblent le supplier de ne pas briser le lien visuel, de ne pas briser sa vie.
Et les questions se bousculent. Elles se bousculent entre elles, elles bousculent son cœur, elles bousculent son crâne. Elles font tanguer l'océan, tanguer sa raison, tanguer son âme. Chavirer le navire de sa conscience, chavirer son esprit dans le monde des souvenirs, chavirer tout son être, cette pauvre carcasse, qui passe par dessus bord et percute l'océan de noirceur qu'est sa vie, de plein fouet, avant d'y être englouti pour de bon.
Les questions de la jeune femme sont tombées dans le silence de la pièce, elles sont tombées comme des gouttes de pluie, une chute interminable, de l'immensité du ciel jusqu'à se noyer dans l'océan, à leurs tours. Jusqu'à l'y rejoindre.
Et il laisse le silence se prolonger, il pèse pleinement les interrogations de la jeune femme, le poids de ses réponses, leurs conséquences. Comment faisait-il? Lui qui tentait de la guider depuis tout à l'heure. Avait-il une recette secrète à lui donner? Pouvait-il affirmer que tout irait mieux?
Comment faisait-il?
L'homme prend une grande inspiration, saccadée, encaissant encore l'émotion qui le saisit à la gorge.

-Oui. Parfois on a envie d'abandonner. Parfois on se dit que ça ne vaut pas le coup, ou qu'on a déjà eu droit à notre quota de bonheur. Que la suite ne fera que continuer à nous en faire payer le prix. Dans ces moments là je me souviens. Je me souviens de tous ces moments merveilleux, puissants, que j'ai vécu. Et que je n'aurais juste jamais pu vivre si je m'étais écouté avant. Si j'avais effectivement décidé de ne plus me battre, ne plus me relever. De dire stop. Il y a tellement de moments...pas forcément des explosions de joie, pas forcément des réussites reconnues par les autres...Mais des moments forts, des moments puissants qui valent tout l'or du monde, des moments de partage, d'entraide. Une flammèche de chaleur humaine dans l'obscurité, qui vaut tous les feux de joie. Je pense à ce que les autres ont pu m’apporter. A cet investissement. Lorsqu’ils m’ont tendu une main, lorsqu’ils ont vu en moi tellement plus que ce que je pouvais ne serait-ce qu’imaginer. Je pense à l’énergie qu’ils ont déployée pour me sauver. Je ne peux pas gâcher ça. J’en ai le droit. Mais je ne veux pas être cet individu. Je ne veux pas balancer par la fenêtre ce pour quoi certains ont œuvré. Je ne peux pas bazarder ce qu’ils m’ont apporté. Bien au contraire. J’essaye, à mon tour, d’être un peu ce qu’ils ont été pour moi. J’essaye, à mon tour, d’aider un peu les autres. De leurs montrer que parfois, ils valent tellement plus que ce qu’ils croient.

Sa main libre effleure ses doigts sans oser les toucher pleinement, sans oser en saisir un, délicatement, l'enserrer, pour lui prouver qu'il est bien là, qu'il la tient.
Pour lui montrer que oui, il parle bien d’elle.
Alors il pose simplement sa main sur la sienne, et il appuie. Légèrement. Une pression réconfortante. Une pression qui signifie "Juste un mot, juste un geste, et je te jure que je ne te lâcherais jamais. Tout dépend de toi."

-Ce moment là. Ce moment que l'on vit, toi et moi. A mes yeux, il est précieux. A mes yeux, il vaut les souffrances supplémentaires endurées. Être là, t'écouter, te parler, savoir apprécier à sa juste valeur cette confiance dont tu m'honores, te montrer, peut-être, qu'il y a d'autres chemins, d'autres voies à emprunter... Te guider, si je le peux, un moment, ou simplement te tenir la main pour t'aider à te relever, pour te rappeler que tu n'es pas seule... Être là et puiser dans ces mêmes souffrances qui auraient pu me faire renoncer, pour te dire qu'il y a des moyens de se relever, des raisons de se relever, pour essayer, au moins, de te montrer certaines possibilités... Pour, moi, ce moment vaut bien d'avoir enduré le reste.

Il secoue légèrement la tête, la gorge nouée. Ferme les yeux juste un instant. Pour chasser le picotement des larmes qu'il ne veut pas laisser couler.

-Lorsque tu te poses toutes ces questions, Elsa. Lorsque tu te demandes si le masque est devenu ta seconde peau, s'il t'a imprégnée, s'il fait partie de toi, t'empoisonne, te ronge de l'intérieur...Lorsque tu te demandes s'il n'est pas devenu dangereux, ou si tu as encore un peu de marge... C'est justement la sonnette d'alarme. C'est justement qu'il est temps. Temps de reposer le masque. Temps de faire péter les apparences. De réclamer son dû. Il est temps de se soulever et de briser les barrages. De crever les abcès et enfin, prendre le temps de se soigner. Temps d’essayer de retrouver la surface, pour respirer, enfin.

Il laisse le silence se prolonger un peu, puis éclate de rire avec elle, à sa réflexion. Mais le masque qui se repose sur le visage de son interlocutrice lui fait mal. Sa main qui quitte son poignet semble déchirer sa peau. Comme si c'était son propre membre qu'on lui enlevait.
Elle a remis le masque, oui.
Alors il rit quand même, pour donner le change. Parce que ça fait beaucoup à digérer. Parce qu'il ne veut pas aller trop loin. Parce que la guérison prend du temps.
Et il se contente d'un haussement de sourcil signifiant "Boje moy, si tu savais..." avant de lui demander, le temps d'une parenthèse, si elle veut quelque chose à boire ou à manger.
Juste pour alléger l'atmosphère. Ne pas brusquer l'oiseau sauvage.
Peut-être, aussi, un peu, calmer les chiens.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyJeu 11 Sep - 15:19

Il y avait trop de choses : des mots, des gestes, des silences aussi. Alors, Elsa pouvait sentir sa tête tourner, malade de tout ça, ivre, nauséeuse peut être. Cela n'arrêta pas Lyov, chaque phrase devenant synonyme de compassion et d'amour, chaque point, chaque virgule, un geste de charité chrétienne et le suédois coulait de sa bouche comme un alcool fort pour requinquer les cœurs. La langue, il la connaissait, surtout il la maîtrisait jusque dans les sentiments. Pourtant, Elsa sentait les chapelets de mots former comme une corde autour de son cou, prête à l'enserrer, l'étranger. Parce qu'elle, elle n'avait pas autant d'amour, elle n'en aurait jamais.
Elle le décevait aussi, le voyait, le sentait, mais quelle importance ? L'importance justement, il en parlait, il s'en riait comme d'autres se rient de la mort : quel intérêt, les gens et leurs bêtises ?! Alors comment expliquer la petite fille au bout du chemin, hein ? Celle tellement seule, tellement traumatisée par la vie en générale, qu'elle avait appris à survivre en créant ses propres amis d'ombres, de tendresse et d'imagination. Des amis que même adulte, elle n'avait pu se résoudre à abandonner, alors ils étaient là, dans les ténèbres au coin de ses yeux, ils attendaient et elle leur parlait. Elle parlait au silence, la fille de la folle, elle devenait folle elle même. Les sorties en groupes, les mains saisies entre amis, entre amants, seigneur dieu elle n'en connaissait rien. Elsa savait simplement les dos tournés, les conversations dont elle était exclue, pas la haine évidemment, pas complètement, juste l'indifférence. Noah l'avait taquiné, lui disant qu'elle était belle, qu'elle valait bien mieux que beaucoup mais et alors ? L'homme avait sorti ça tout en la laissant à sa solitude, celle que rien ne brisait, comme une malédiction.

« Avec un père pareil et orpheline si jeune, elle s'en sort bien cette petite. Intelligente comme elle est, elle n'a pas besoin d'aide. » « Elle est bizarre mais elle se dévoue aux autres, c'est qu'elle doit être heureuse. Ah ça, c'est un autre monde, le sien, ça l'empêche pas d'être indépendante, de gagner sa vie ».

Portes closes, yeux fermés, cœurs aussi. Depuis le début on décidait pour elle, on décidait de son courage, du prix de ses efforts, de sa vie. De son isolement, et chaque fois que la jeune fille avait flanché comme lorsque son père, pourtant connard fini, avait décidé de s'évanouir dans la nature, on l'avait regardé de loin.

« Elle va se relever toute seule, elle est forte. Et puis il y a pire qu'elle comme situation vous ne trouvez pas ? »

Alors à chaque fois, Elsa avait ramené contre elle ses genoux écorchés et son cœur, plus froissé qu'une feuille morte, pour pousser une énième fois sur ses jambes, être debout. Sauf que la jeune femme ne savait comment l'expliquer à Lyov, que les gens étaient parfois plus gentils avec certains que d'autres, qu'elle n'y arrivait pas mais qu'elle essayait, qu'elle faisait de son mieux. Elle soupira. Un effort, vider l'air, en reprendre encore un peu, recommencer, respirer. Vivre.

 « Cela fait des années que l'alarme sonne dans ma tête, un jour elle se rompra. Parfois, il y a des gens qu'on ne peut pas aider, parce que les autres ne veulent pas. Vous faites un travail remarquable, vous savez comment canaliser les gens... Mais vous gagnerez plus à supporter ceux pour qui il y a encore de l'espoir. C'est pour ç que c'est génial que cette gamine bosse chez vous, Camilla... une gentille fille. Vous m'auriez dit tout ça quand j'avais sept...dix...seize ou vingt ans, oui.... »

Sa main fourmillait d'on ne savait quoi. Parce que Lyov attendait, mais Elsa n'avait pas de réponse, alors ses épaules tremblaient aussi. Ce n'était pas de la peur, pas vraiment, juste une réaction physiologique de son corps parce qu'être au contact de quelqu'un d'autre aussi longtemps, la jeune femme ne connaissait pas. Elle ne savait comment réagir physiquement, moralement. Elle ne savait pas tenir une putain de conversation, voilà tout.

 « Vous voulez quoi, un geste, un mot ? Dites-le moi, dites moi ce que vous voulez parce que je ne sais pas deviner. Je connais pas les signaux pour appeler à l'aide, je connais pas les codes, c'est pas que j'ai pas envie de les faire. C'est comme les efforts, personne les voit avec moi, je sais juste pas communiquer. »

Le masque se souleva au moins un peu, et puis il y a le rire, comme la réponse d'un dieu dément à un univers trop ordonné. Parce que le rire de Lyov est beau, il y a le sang dedans, le fer mais surtout le bleu du ciel, moins brillant pourtant que le bleu de ses yeux.

 « Le soir quand je viens ici, dans votre bar, je me dis que ça y est, que j'oserai. Que je me saoulerai jusqu'à embrasser n'importe quel homme aux yeux bleus ou noirs et passer la nuit avec. Sauf que ça ne se fait jamais. Parce que à quoi bon, et parce que si quelqu'un osait, vous le foutriez dehors pour me laisser finir mon livre tranquille. De toute manière embrasser non plus je sais pas, enfin quand on est saoul ça doit passer inaperçu je suppose. »

Elle s'essoufflait, la respiration folle, les yeux brillants de tristesse et d'envie, les joues roses aussi.

 « Hé voilà que je parle trop, je jacasse comme une collégienne, normal que personne ne vienne discuter avec moi en fait. Désolé, je me tais....En plus je paye un psy pour ça. »

Et ses doigts se tordaient entre eux, comme une dizaine de petits cous brisés, reflet fantômatique des propres mains de Lyov sur le bois du comptoir.

 « J'avoue être affamée.... »

Et, comme en réponse à tout cela, parce que son corps était malpoli, la jeune femme perdit soudain toute couleur pour s'effondrer, elle qui avait pourtant repris sa fierté pour se mettre debout, sur le cuir usé de la banquette. A nouveau le frisson des épaules, les cernes sous les yeux et les réactions animales. A nouveau cette peur de l'inconnu en plus de la fatigue et de la faim car sous le masque, il n'y avait jamais rien d'autre...

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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyVen 12 Sep - 2:22

Lyov l’observe. Il observe la jeune femme, son désespoir au fond de son regard. Il observe son propre passé dans les yeux de son interlocutrice. Un océan de tristesse, lisse, calme en apparence. Un océan dont les profondeurs avalent sans arrêt les hurlements de souffrance. Des abysses obscurs, glacials. Des abîmes qui observent chuter les corps, la gueule ouverte, attendant que ceux-ci viennent percuter le fond, viennent s’échouer sur leur langue rocailleuse, tranchant sans fioriture avec la moindre de ses aspérités.
Il observe. Au fond du regard de la jeune femme. Il observe le corps d’Elsa s’enfoncer dans les profondeurs de cette eau d’une froideur paralysante. Il la regarde, lui-même tétanisé, couler irrémédiablement dans la gueule de la bête. Il la voit atteindre le sable mordant, les coraux prêts à déchiqueter son âme. Il voit. Les filets de sang. Des voiles pourpres qui s’évadent de son enveloppe charnelle, une carcasse qui perd son âme, inexorablement. Une teinte vermeil qui court, danse au rythme du courant, s’enfuit toujours plus pour valser avec les grains de sable qui se soulèvent et suivent le même chemin, ce sable du temps qui s’égraine et semble hurler par son balai silencieux la finalité implacable d’une telle situation.
Comme si les mouvements constants de son corps au gré du courant, et la fluidité des arabesques carmins ne pouvaient mener qu’à un résultat intangible. Qu’il n’y avait rien d’autre à faire que de regarder la beauté morbide du spectacle. Regarder la vie qui s’enfuit. L’amour propre qui se vide. Les espoirs chassés par le flot d’hémoglobine, laissés filer par un corps qui refuse de se battre, presque recrachés par une entité qui n’en peut plus de les sentir si déçus. D’user de l’énergie à les entretenir pour ne les sentir qu’affamés en permanence, jamais contentés, jamais épanouis. Un élevage d’espérances à l’agonie qu’elle n’a pas les moyens d’entretenir. Qu’elle achève pour ne plus les voir souffrir.
Rien d'autre à faire qu'attendre les requins.
Il tente d’en sortir, pour sa part. Il tente de taper du pied contre le banc de sable qu’il ne parvient même plus à percevoir dans toute cette obscurité. Il tente de donner une impulsion suffisante pour remonter à la surface, pour sortir de son regard, sortir de son enfer glacial, priant presque pour avoir suffisamment d’air afin de revenir à la surface.
Priant presque pour que la pression ne lui explose pas le crâne.
Il se débat avec la vase, un instant, panique presque, enseveli dans ces sables mouvants, dans la terreur et l’angoisse qui adhèrent à son corps, tentent de l’aspirer, s’en nourrir après Elsa. Et non contentes de le dévorer de l’extérieur, elles s’insinuent à l’intérieur. Sa cage thoracique qui explose, son sang qui bourdonne entre ses tempes, cette panique qui monte, sans fin, comme la pression sanguine qui fait exploser ses veines. Cette peur brutale, viscérale, animale. Cette impression de mort qui s’abat, comme une poutre sur ses épaules. Comme une ancre accrochée à sa cheville qui l’enchaîne aux fonds marins. Et le froid, presque anormal qui l’ankylose, l’empêche de se débattre.
Mais il y a de l’espoir, dans son discours. Même au fin fond de cet océan de noirceur, il y a de l’espoir.
Alors quelque chose qui décroche, comme un boulet qui tombe. Une impression de légèreté, et il bat des pieds, encore. Toujours. Il bat des jambes, ondule de tout son corps pour s’en sortir.
Pour l’en sortir, à son tour.

-De nouveau, tu parles des autres… L’important, c’est que toi tu le veuilles. C’est ton choix, ta décision. Parce que malgré toutes les mains qui pourraient être tendues et saisies, c’est ton travail, avant tout. Ce sera dû à toi. C’est toi, qui te relèvera. Si toi tu le veux, sache que moi aussi. Je ne cherche pas à y gagner quoi que ce soit. Une âme de plus qui se relève, et c’est le monde entier qui y gagne. Une personne, aussi belle que toi, qui se remet debout, c’est avant tout à elle que ça rapportera quelque chose. Mais crois moi, tu apporteras aussi au monde. Et moi, je serais ravi d’aider à ce que l’humanité brille un peu plus. Ce n’est pas pour mieux dormir la nuit. Ce n’est pas mathématique, pour rentabiliser « l’âme sauvée ». Non. C’est une existence qui sort de la noirceur, c’est tenir tête à la vie, la beauté est là, simplement.

Il secoue la tête.

-Mais bien sûr que je me tourne vers ceux qui peuvent encore être sauvés. Et tu l’es. Cela, n’a rien à voir avec l’âge. Tu n’as plus sept, dix, seize, ou vingt ans. Mais tu n’en as pas quatre-vingt non plus. Et même. Même si c’était le cas. Il n’est jamais trop tard pour apprendre à vivre. Il n’est jamais trop tard pour essayer de tirer profit du temps qu’il nous reste. Si tu n’apprends pas à vivre maintenant, quand comptes tu le faire? Pourquoi laisser filer encore quelques années d’existence, quelques années de remords? Je fais ce que je peux pour aider Camilla. Je fais ce que je peux pour aider Tim. Vois ce que je peux faire, s’il le veut bien, pour Adolf. Pour tant d’autres. J’essaye, j’essaye de dégager la vue, montrer d’autres chemins qui pouvaient être masqués par la douleur et le désespoir. Mais vous n’êtes pas simplement des histoires qui s’entassent. Vous n’êtes pas juste des causes du jour. Vous êtes des individus à part entière, vous êtes des personnes qui comptent. Des personnes qui comptent à l’échelle de l’univers autant qu’à la mienne. C’est ça que j’aimerais que tu comprennes surtout. Tu n’y croiras peut-être pas maintenant, ni demain, ni dans quelques semaines…Mais un beau jour, j’ai espoir que tu le ressentes. Que tu le ressentes vraiment. Au plus profond de toi. Tu comptes. Tu es importante. Quant à ce que je veux. Juste un mot. La seule chose que tu as à dire, c’est « oui ». « Oui, je veux me relever. Oui j’ai besoin d’aide. Oui, je veux bien de la tienne. » Si tu en veux. Et si tu ne veux pas de la mienne, je pourrais le comprendre. Je ne t’en voudrais pas. Mais parle. Crie. Hurle. Dis ce que tu as à dire. Exorcise tes souffrances. Crache chacune de tes peurs, chacun de tes dégoûts. Fais les sortir, par pitié. Fais les sortir pour qu’ils cessent de te ronger de l’intérieur. Si ce n’est pas mon aide, demande celle de quelqu’un d’autre. Celle d’une personne qui, selon toi, pourra te l‘apporter. Sera la mieux placée. Personne ne te demande de communiquer par codes ou regards. Par sous-entendus ou messages cachés. Personne ne te demande de faire dans la dentelle. Tu as besoin d’aide? Quelque soit ta façon de le demander, je serais là. Même si c’est en venant t’effondrer sur mon comptoir, taper du poing et l’exiger avec une tournée.

Un sourire au coin des yeux, de ses yeux tristes. Un sourire et une légère note d’humour, pour revoir le sien. Mais il est parfaitement sérieux. Il se garde bien de lui dire qu’il ne lui servira probablement pas quelque chose de plus fort qu’une bière, au vu du résultat du Whisky, mais dans l’idée, il est parfaitement sérieux.
Il reprend en écartant légèrement les mains, comme si c’était une évidence, comme si tout lui allait. Comme s’il pouvait tout accepter si elle, ça lui permettait enfin de parler.

-Même si c’est pour venir m’attraper par le col et me secouer dans tous les sens parce que je n’aurais pas vu plus tôt. Parce que je n’aurais pas compris. Parce que tu trainais dans le coin sans oser demander et que je n’ai rien remarqué. Même si tu dois exploser au milieu de mon bar. Au milieu de chez moi.

Sa voix s’est éteinte sur la fin, légèrement. Il vient de franchir un cap. Il vient de lui donner une autorisation supplémentaire. Il vient de lui ouvrir une autre porte que celle de son établissement. Si elle a besoin. Si elle veut. Sa maison est la sienne.
S’il peut créer un cocon réconfortant, le temps d’un instant.
Si elle veut, ne serait-ce que bouquiner sur un fauteuil, sur sa terrasse, sans être seule.
Mais il ne lui dit pas vraiment. Il lui laisse le choix de comprendre ce qu’elle veut comprendre. Il lui laisse le choix d’aller aussi loin qu’elle le souhaite.
Alors il balaye ses doutes et ses certitudes d’un revers de main.

-Quelque soit l’endroit, quelque soit l’heure… Tu sais que ma main est là.

Il hausse les épaules, maladroitement, comme gêné, alors qu’il n’y a pas de raison pour que ce soit le cas.

-Et puis…Tu es là, non, ce soir? Tu as su trouver le chemin, tu as su demander, à ta façon, non? Donc tu sais faire… Eh bien sache que tu en avais le droit. La seule chose que je te demanderais, et libre à toi de me l’accorder…c’est de ne pas attendre aussi longtemps avant de venir. D’oser dès que tu en ressens l’envie. Pas d’attendre que ce soit le besoin, viscéral, l’instinct de survie, qui guident tes pas.

Et il se tait. Parce qu’il n’y a rien à ajouter. Parce qu’il veut que ces phrases tournent en rond dans le silence de la pièce. Dans le crâne de la jeune femme. Qu’elles se frayent un chemin dans les vapeurs de l’alcool, s’y ancrent bien, pour que le lendemain, elles y soient encore.
Mais il sait qu’il se chargera de lui rappeler. Qu’il lui répètera autant de fois qu’il le faudra. Jusqu’à l’inscrire sur l’enseigne, le comptoir, sa table habituelle, et l’imprimer sur les cartes, s’il le faut.
Juste pour être sûr.
Et il l’écoute. Il l’écoute parce qu’au fond, qu’elle parle, c’est déjà une acceptation. C’est déjà saisir une main. La sienne. Parler, c’est prendre un risque. Parler, c’est l’accepter.
Être là, ce soir, cette nuit, c’est être venu réclamer de l’aide.
Il l’écoute en se disant qu’elle a fait le premier pas, au fond.
Et elle se confie. Son inexpérience. Ses désirs. Ses peurs. Parce qu’elle s’est protégée, et que même si elle est tentée par un demi-tour, elle appréhende. Elle a peur. Elle ne sait plus vraiment comment lancer le processus. Plus rien n’est naturel.
Alors l’homme secoue doucement la tête.

-Ne te précipite pas non plus. Laisse les gens venir à toi, mais ne te lance pas dans quelque chose en te disant « Boh, pourquoi pas. Il faut bien que ça se fasse. C’est un point de départ. » Ou je ne sais trop quoi. Se permettre de gouter au bonheur, c’est aussi le sélectionner. C’est trouver quelqu’un de bien qui peut te l’apporter, et avec qui le partager. Quant au reste, aux incertitudes, à ce qu’il peut sembler être des maladresses…Il n’y a pas besoin de compenser d’une manière ou d’une autre, et certainement pas avec l’alcool. Ça s’apprend, avec le temps. A force de connaître l’autre. A chaque nouvelle histoire, à chaque nouvelle personne, c’est une première fois. Faut s’apprivoiser. Tu ne devrais pas te faire de soucis à ce niveau là.

Il sourit légèrement, elle l’a bien cerné, au fond.

-Pour ce qui est de foutre dehors ceux qui oseraient t’approcher…Crois moi, je connais bien mes clients. Je ne virerais que ceux qui te feraient du mal, ou ceux que tu me demanderais toi-même de foutre dehors. De ton côté, tu ne devrais pas hésiter non plus à aller vers les gens qui t’intéressent.

Il parle aussi d’un point du vue intellectuel. Elsa n’est pas la seule lectrice de l’établissement, la seule belle personne, la seule qui goute sa bière en tête à tête avec ses amis créés de toute pièce ou avec sa solitude.
Quelques mots, une amitié naissante, des échanges, des apports. Une ouverture, tout simplement.
Et le point de vue des autres, les chemins qu’ils peuvent pointer du doigt eux aussi. Des chemins qu’ils peuvent proposer de partager, le temps de quelques pas. Le temps de toute une vie.
Une ouverture sur le monde comme une fenêtre qui ferait rentrer l’air frais dans un cachot humide où l’air ambiant stagne, sent le renfermé.
Une ouverture qui fait entrer la lumière, vive, qui éclaire tout à coup l’intérieur de la pièce qui perd ses allures de prison pour laisser découvrir à son propriétaire une belle bâtisse. Quelques fêlures mais tant d’œuvres d’art. Tant de travail dans la construction. Tant de beauté dans sa constante évolution.
Une fenêtre dans sa vie qui lui permettrait de voir le monde extérieur autrement, tout autant que sa propre personne.
Une fenêtre qui pouvait tout changer.
Il l’observe. Il observe ses traits rougis par l’émotion, le reflet de son cœur emballé dans son regard presque affolé. Il observe la révélation, la naissance des sentiments dévoilée. Il recueille la confession au creux de ses grandes mains, délicatement, et entretient la flamme. Il regarde cette dernière comme il regarderait un nourrisson. Un bourgeon de vie. Un espoir, enfin.
Puis alors qu’il s’apprête à reprendre la parole, il la voit faiblir, s’effondrer sur son comptoir. L’homme semble prendre une claque. Comment n’a-t-il pu remarquer? Tout occupé qu’il était à parler, à tenter de sauver son âme…alors que c’était son corps, à l’instant, qui la trahissait.

-Hey, attend, reste avec moi. J’ai quelque chose.

Il se tourne d’un geste vif vers le frigo, se baisse et sort le même sandwich qu’il a rangé avant son arrivée. Son dîner auquel il n’avait pas touché, l’estomac trop noué. Rapidement, il le glisse devant elle en lui demandant si le thon lui convient, lui disant qu’il doit avoir quelque chose d’autre sinon…
Le russe trouve quelques barres de céréales, et un sac de pommes qu’il pose sur le comptoir. Toujours avoir des pommes en réserve. Une règle d’or chez lui. Des pommes, et du café.
Il se tourne ensuite, encore une fois, vers le frigo pour en sortir plusieurs sodas et bouteilles de jus de fruits en tout genre, multi-vitaminés pour lui redonner un peu d’énergie, avant d‘attraper un verre.

-Qu’est-ce que je te sers? Tu dois être épuisée aussi… Mange, déjà. Et peut-être faudra-t-il que tu ne tardes pas trop à te reposer…

Tandis qu’il dispose devant elle ce qu’il trouve, son cerveau continue de repasser en détail ce qu’elle vient de lui dire.

-Si tu veux quelque chose, n’hésite pas à demander… Et si tu parlais réellement trop, tu te rendrais compte que ce que tu viens de dire n’a rien d’un déballage… Vraiment pas. Mais je te remercie de ta confiance, en tout cas. …Ton psy…tu as des résultats avec lui? Il t’apporte quelque chose, si ce n‘est pas indiscret?

Lyov n’aime pas l’air qu’elle arbore, de nouveau. Le reflux de la douleur. Il sait que le coup de pompe et la faim en sont responsables, mais au final, ils ne font que raviver la boule de nerfs à vif. Rappeler qu’elle est là.
Et si le russe est conscient qu’il faudra un long travail pour gainer cette pelote de fils hypersensibles, pour l’instant, il est prêt à dévaliser son bar pour au moins les endormir un peu.
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MessageSujet: Re: And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa   And I'm talking to myself at night because I can't forget - Elsa EmptyDim 14 Sep - 12:11

Elle aurait pu être une tapisserie peut-être, un travail ravissant, imparfait avec des fils coupés, d'autres mal cousus et d'autre au contraire, d'une harmonie à pleurer. Mais personne ne s'installait devant le métier à tisser de son corps, personne ne donnait un sens à la couleur, celle de ses yeux, de ses larmes et de sa chair. Ne restait que les ombres et la nuit, le silence de ce soir nordique, éclatant, profond et invisible également.
Et puis elle, grande, meurtrie, silencieuse... Elle et ses longs doigts, elle qui pansait, rafistolait, grondait, elle qui veillait.
Elle, oui Elle..

Elle qui était les ténèbres.

Les mots de Lyov étaient un ruisseau sur son corps de noyée, mais déjà Elsa n'écoutait plus. L'homme voyait la chute, la sienne, mais restait aveugle aux mains l'ayant poussé. Le malheur n'était pas choisi par la jeune femme, contrairement à ce que semblait penser son interlocuteur. Depuis petite, elle s'acharnait à le combattre, essayant de rire plus fort, de lever le nez et de frapper du pied comme l'on pourrait battre tambour. Sauf que ses blagues ne faisaient bien rire qu'elle et que les chiens faisaient fuir les loups pour mieux la dévorer. Alors elle secoua la tête, un peu sauvage, avec un feu nouveau et pourtant si ancien : on ne pouvait pas l'apprivoiser, pas elle alors qu'on ne lui avait offert que des coups. Non, ce serait offrir trop de facilité au monde et pourtant bien sûr qu'Elsa adorerait se rendre chez Lyov un jour, s'installer sur sa terrasse, boire un verre en sa compagnie, peut être même un simple soda et regarder le temps passer. Mais le faire, ce serait se trahir elle-même, alors elle refusait, se débattait et plongeait un peu plus au cœur du brasier. Peu importe que l'on ne sache pas déchiffrer ses yeux, peu importe qu'on la considère folle ou foutue, mais tout plutôt que le miel des gentillesses illusoires !

Elle n'était pas tous ces noms que le russe faisait danser sur son cœur, elle était autre voilà tout. On ne la sauverait pas par l'apaisement mais bien en lui offrant un chaos jumeau au sien, tant pis pour les belles histoires, tant pis pour le calme et la paix. Car si Elsa était destinée à mourir dans l'étreinte, peut être que ses lèvres ne se satisferaient que des goûts des larmes et du sang.
Le sandwich devant elle, encore emballé comme une offrande. Ils n'avaient plus ni dieux ni déesses pourtant, juste un espoir porté en croix et l'envie d'une intelligence supérieure. Elsa croyait à tout cela, à sa manière. Elle comprenait certains préceptes comme le pardon, le fait de ramener à soi des brebis égarés, mais la trop grande gentillesse lui donnerait toujours envie de vomir.

Elle n'irait pas chez Lyov, peut-être ne retournerait-elle même jamais dans ce bar. Il suffisait de se trouver de nouvelles habitudes : des endroits pour lire il y en a tellement. Un curé avait le droit de parler ainsi, pas un homme. Se relever oui, bien sûr, mais pas comme ça. Lentement, la jeune femme déballa le sandwich. Elle en brisa un bout, prenant garde aux miettes et le mangea, les yeux distants, les manières délicates.

 « Vous par contre, vous parlez trop.... Certaines questions n'ont pas de réponses et il est tellement aisé de se laisser perdre par des choses fallacieuses, même pour la meilleur des causes »

Sauf que personne ne comprenait jamais vraiment. Qu'importe, elle était la fiancée des chiens et vers elle, on tendait bien plus le poing que la main. Peut-être que le Russe ne voulait rien en voir, il est plus simple de survivre en imaginant un monde meilleur que de raison après tout. Néanmoins, Elsa ne pouvait se résoudre à s'allonger sur un lit de mensonges. Non, pas lorsque cela signerait sa perte....

 « Vous aussi vous pourriez passer, un jour. Je ne fais pas de grande cuisine mais je me débrouille.... »

Personne ne frappait à sa porte. Une fois ou deux il y avait bien eu Yngve en manque d'argent mais même lui ne venait plus. Sa route était pavée de solitude et Lyov non plus n'en franchirait pas le porche.

Il a les sodas, les pommes, les biscuits, il y a tout ce qu'il sort, tout ce qu'il offre. Alors, Elsa prit une grande inspiration et releva la tête. Elle sourit, non ps avec cette air sévère qu'elle portait au quotidien, plutôt avec sa douceur mélancolique celle qui, en d'autres lieux, aurait pu faire tourner un cœur ou deux.

 « Du calme, du calme...de l'eau suffira pour ce soir, je ne vais pas vous embêter avec une tisane. Et pus vous avez besoin de manger vous aussi, peut être pas mentalement mais physiquement.... »

Ils ne se comprenaient pas, et peut-être se détournerait-elle de lui, oui... Mais elle l'appréciait et le respectait. Le monde trop noir n'empêche pas les sentiments rom anesques, à défaut d'amour et de haine.
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