Papa, ta fille est folle... Oh P'a, je sais plus comment aimer la vie et il y a l'homme dans le jardin qui m'attend. Je peux pas te dire que je vais m'enfuir un peu, courir dans la forêt jusqu'à m'écorcher les genoux, et tu me retrouveras les vêtements déchirés, de la boue au visage. L'homme en noir sera là sans que tu le vois.
J'ai peur, alors dis le à Dieu, qu'il change quelque chose et que tout aille mieux...
J'achèterai des cierges avec mon argent, tant pis pour la robe bleue que je voulais. Alors, Dieu m'écoutera hein ? Il sera obligé et tous mes amis, l'homme en noir à leur tête, iront aussi lui parler. Les amis que tu vois jamais et qui te font peur. Parce que maman était malade avant de se suicider, une maladie qui peut s'attraper et qui fait voir des choses, et qui rend fou aussi. C'est pour ça qu'elle me tapait et pleurait beaucoup. Toi tu disais que c'était pas sa faute, que je devais être gentille, juste aller jouer dans le jardin. Alors l'homme en noir venait me tenir compagnie, d'abord lui, et d'autres aussi. Il me bouchait les oreilles pour pas que j'entende ce vilain mot : schizophrénie.
Parce que je l'étais pas, Dieu aurait pas laissé faire. J'avais juste besoin d'amis tu sais....

Papa, c'est quoi la vie, c'est vraiment ça ? J'ai l'impression d'avoir déjà des heures de trop, de pas pouvoir faire machine arrière. J'ai fait le rêve et il n'est pas beau parce que dedans il y a des choses qu'un enfant devrait pas voir. Il y a un homme dedans, tu sais ? Je le connais pas encore, pas tout de suite. Je vois même pas son visage, mais il y a son souffle, et j'ai pas mes vêtements, je sais pas pourquoi, je sais pas comment. Est-ce qu'il a le droit d'être là, ça aussi je sais pas. Et ça arrivera pas vrai ? Le jour où je mourrai...

Cet homme viendra un jour, est-ce que c'est le Diable, papa ? Alors je vais prier Dieu encore plus fort pour qu'il vienne, mais dans loin, très loin parce que je veux pas partir. Toi aussi tu veux garder ta petite fille hein ? Déjà qu'il a fallu enterrer Maman. C'est toi qui l'a tué pas vrai ? Je t'ai vu, l'oreiller à la main... Je dormais pas et tu sais quoi ? C'est pas grave. Maman me frappera plus, pareil pour les insultes.. Et puis là que tu me regardes presque plus, j'ai le temps de jouer avec mes amis.
Si eux, ils sont là alors j'ai pas besoin des autres, et loin des autres alors... alors l'homme du rêve viendra pas. Le Diable, même s'il l'est pas.... J'ai sept ans et je pleure un peu mais plus beaucoup, j'essaye de trouver des solutions. Reste avec ta bouteille, Papa... C'est ton amie à toi, et moi je peu pas t'aider. Du moment que tu me bordes le soir, c'est que tout va bien hein ? Allez, à tout à l'heure, tant pis si tu me souhaites pas mon anniversaire. Ca arrive à tout le monde d'oublier... Et puis j'ai pas besoin de cadeau, jouer dans les bois c'est bien mieux. On ira à l'église demain, dimanche. Je dirais ç dieu d'être plus gentil avec toi....



Papa je te hais, t'en as pas marre de me faire faire le ménage et la bouffe ? J'ai seize ans et t'adores ça, veux porc. Tu regardes mes cuisses et mes hanches et surtout, t'es de plus en plus saoul. Je ris de toi, tu sais ? Lorsque je fais entrer mes amis dans la chambre et l'homme en noir, il rit avec moi. Je m'en fous qu'ils soient faux, qu'il existent pas, ils m'aident bien plus que toi. Un garçon au lycée passe son temps à me regarder. Normalement, toi tu devrais t'énerver. Je suis ta petite fille, ton trésor, si t'étais un vrai père tu refuserais de me voir grandir. Sauf que toi t'adore, parce que ça me donne des formes et des seins, et que des corps comme ça, t'en as pas vu depuis des lustres. T'étais trop saoul pour garder ton permis longtemps, alors tu peux même pas aller aux putes avec la voiture.
De toute manière, le garçon je ferais rien avec. Je suis pas encore prête à voir le diable, même si la vie est triste. J'imagine des gens capable de veiller sur moi, et la nuit l'homme en noir me caresse le front. Comme toi avant, sauf que maintenant ce serait plus vers mes fesses que tes mains iraient. P'a, pourquoi t'es comme ça hein ? T'aurais pu trouver quelqu'un d'autre après Maman, qu'on reste pas que tous les deux. J'aimerai bien partir un jour mais je peux pas... Et puis on a des dettes, pour ça que je bosse l'été, les vacances et les week end. Je dois pas avoir beaucoup d'avenir : trouver un job rapidement pour gagner du fric et c'est tout. Je me marierai même pas, il n'y aura aucun respiration au creux de mon cou, aucun corps nu et surtout pas le mien. J'ai seize ans, sauf que personne ne me le souhaite. Tant mieux, ça m'apprend à vivre seule, vraiment toute seule. Sans personne avec qui me lier, sans personne pour me tuer.


T'es peut être mort mais je m'en fous. C'est mon anniversaire aujourd'hui, j'ai vingt-six ans. Comme d'habitude, personne pour me le souhaiter, sauf à l'hospice par pure politesse. T'es parti, j'en avais vingt et un et personne t'as jamais retrouvé. Tant mieux, tu me manqueras pas, toi, tes mains, ton regard. J'ai toujours mes amis avec toi, je m'en fous s'ils sont faux, inventés. Eux, ils restent. En infirmière, on me surnomme Nurse Ratched, comme dans ce film. Ouais, j'sais...les gens ont pas beaucoup d'estimes pour moi. Je laisse jamais le temps de me connaître, parce que je sais que je faiblis.
J'ai envie d'un homme maintenant, sauf que j'ai peur. J'ai peur du rêve tout comme j'ai peur de toi, de ton souvenir. T'as bousillé ma vie, peut-être que si le jour de mes sept ans tu t'étais occupé de moi j'aurai été autrement.
J'aurai accepté de vivre, de courir le risque d'être aimé. Là je suis seule la nuit, il n'y a que mes mains et les fantômes dans ma tête. C'est froid, c'est glacial et ça ne changera pas. Crève, Papa, crève où que tu sois....

Mon rêve aurait pu être beau : finir dans les bras d'un homme et mourir d'aimer. Dieu me pardonne, l'amour m'a été enlevé....