5 Mai 1989 - Détroit, USA.


- Où est ce que tu te crois, Anderson ?! T’es pas en train de faire ton footing du matin, bouge ton cul et je vais finir par te casser la gueule !

Mickey Smith n’était pas un homme qu’on pouvait prendre pour un con. 1m75 mais pesant bien ses 100kg, il était peut-être petit et trapu mais aussi battit comme un Rambo bourré aux stéroïdes qui s’apprêtait à vous exploser le crâne si on osait le regarder de travers. Ouais, en bref, Mickey était imposant, impressionnant et peu de personnes souhaitaient l’avoir sur le dos. Pourtant même si sa grande gueule et son air bourru pouvait foutre la frousse, il y avait pas homme qu’Edward respectait et appréciait le plus au monde.

Le front en sueur et les biceps en feu à force de cogner contre le punching ball, Ed fronça les sourcils et se concentra un peu plus alors qu’il sentait le regard sévère de Mickey derrière son dos.

- Plie plus ton poignet quand tu frappes et putain tu vas me rentrer ce coude ! Hurla Mickey. Quand tu donnes ton uppercut tu dois plus rapide sur sa garde...  Réajuste ta position gamin ! C’est pas comme ça que tu vas gagner le championnat !

Ed venait de fêter ses quinze ans il y avait deux semaines et, pour pas changer, il préférait bleuter le lycée pour se rendre au petit centre sportif de boxe de Détroit dirigé par Mickey. Mickey avait été champion de boxe américaine en 1976, tout le désignait favoriser lors du prochain tournoi mondial avant qu’il ne se fasse une blessure sérieuse qui l’avait empêché de reprendre le sport. C’était surement pour ça que Mickey était si chiant et amer, se disait Ed quand il se faisait enguirlander par son mentor.  La boxe n’avait jamais été un sport qui l’avait vraiment intéressé, jusqu’à ce qu’il assiste avec deux de ses potes de lycée à un match qui l’avait carrément transporté... ça et le fait qu’il était un fan inconditionnel de Rocky et de son « Adrieeeennnnneeeee ! »

Du coup, Ed s’était inscrit aux cours de boxe et Mickey l’avait immédiatement prit sous son aile. A force d’entrainement, Edward était finalement parvenu à se hisser en demi final régional, ce qui lui ouvrait la voie aux qualifications nationales. Et à défaut de partager cette passion avec ses parents, Samuel et Sandra, tout deux médecins pour médecins sans frontières et se trouvant actuellement quelque part dans un coin perdu de l’Afrique profonde, il le partageait avec Mickey et sa grand mère Meg chez qui il vivait avec ses trois soeurs aînées.

En fait s’il était tout à fait honnête, son père n’appréciait pas son activité sportive, préférant plutôt que son fils lui ramène des notes excellentes dans l’espoir qu’il suive la tradition familiale : devenir médecin à son tour. Mais être doc’ était vraiment le dernier de ses soucis, franchement, il voulait percer dans le monde de la boxe ! Penser à son père l’énervait et pour le coup il se déchaina en frappant un peu plus fort.


20 Aout 1993 - Nouabalé-Ndoki, Congo


Mais qu’est ce qu’il foutait dans cette merde, sérieux ? Il jeta un regard horrifié à Luana, sa soeur aînée qui tomba à genoux à côté de lui. Deux semaines qu’ils n’avaient pas mangés, les rebelles congolais qui les avaient fait prisonnier, leur avaient à peine donner de quoi boire. Ed n’était pas médecin -enfin pas encore- mais il savait déjà qu’ils souffraient tout deux d’une sévère déshydratation. Un des rebelles qui les menaçait d’une mitraillette leur gueula quelque chose en congolais qu’il ne compris pas.

- Lua ? Demanda t-il dans un chuchotement.

Sa soeur lui jeta un regard en coin, en secouant doucement la tête. Le rebelle continua de leur parler et dans ses exclamations, Ed cru saisir des mots comme « rançon », « téléphone », « mort »... Okay, le dernier était définitivement pas encourageant du tout ! Il commençait sérieusement à s’inquiéter et il sursauta quand un coup de feu retentit brusquement. C’était comme recevoir un coup de poing en pleine face au moment ou il ne s’y attendait pas. Il se souviendra toute sa vie de ce bruit et du hurlement d’agonie qui lança sa soeur, et du sang qui lui éclaboussa le visage et les vêtements.

Le rebelle éclata d’un ricanement puis parla à un de ses collègues derrière lui avant de refermer la porte en fer de la prison dans laquelle ils les avaient jetés deux semaines auparavant. Ed mit quelques secondes avant de se remettre et de pouvoir cligner des yeux.

- Fuck, fuck, fuck ! Lua !

Sa soeur tenait sa cuisse ensanglanté, pleurant librement, et Ed déchira le bas de son t-shirt histoire de pouvoir lui faire un garreau et l’empêcher de se vider de son sang. Heureusement la balle avait traversé, pas de risque d’infection.

- Qu’est ce qu’il s’est passé ? Fuck, Lua, qu’est ce qu’il a dit ?

Il ne parlait pas le congolais aussi bien que sa soeur. Celle ci, adossée contre le mur sale secoua la tête, tenant sa cuisse des deux mains... Elle était si pâle, Ed était persuadé qu’elle allait finir par tourner de l’oeil.

- Ils ont demandés une rançon pour nous, mais apparemment elle n’a pas été accepté... Je crois qu’on est dans la merde.

Sans blague ? Aurait voulu répliquer Ed. Mais c’était pas vraiment le moment pour être acerbe. Il passa son avant bras sur son front en sueur, maudissant clairement son père de les avoir lancer dans ce bordel ! Son père qui avait mit fin à sa carrière de boxeur professionnel qui s’était profilé à l’horizon. Son père qui l’avait embarqué avec lui à la fin de sa dernière année de lycée à l’autre bout du monde pour lui montrer le métier. Son père qui l’avait confié à la charge de sa soeur Luana, tout juste diplômé de sa faculté de médecine et qui s’était elle aussi engagée auprès de Médecins sans frontière. Son père qui les envoyé dans un pays en pleine guerre civile... Son père qui les avait abandonné. S’il existait une vie après la mort, Ed se jurait d’aller le hanter jusqu’à la fin de ses jours à ce vieux connard !

Merde quoi, il avait dix huit ans et il allait crever comme un chien dans une cellule crade. Il prit sa soeur dans ses bras, la réconfortant comme il le pouvait malgré leur situation désespérée. Des bruits de pas retentissaient déjà dans le couloir et Ed se dit que c’était la fin... On allait les achever ! Par instinct il se plaça devant Luana, et même s’il savait que ça ne servirait à rien, il pouvait pas s’empêcher. Il savait que ça arrêterait pas les balles, pourtant. Le bruit de la clé qu’on tourne dans la serrure lui coupa le souffle et alors qu’il se redressait, tout près à faire face à son destin, il cligna des yeux quand un homme habillé d’un costume Armani à 10 000 dollars apparu sur le pas de la porte.

What the fuck ?! Il serra la main de Lua dans la sienne alors que l’homme, un mec grand, typé latino, les cheveux noirs tirés en arrière et respirant la classe les dévisageait comme s’ils étaient deux bêtes de foires. Finalement après quelques secondes, il sourit avec un air bienveillant et sympathique.

- Bonjour, dit-il avec un accent... italien ? espagnol ? Je suis Carlisle Cativeria, et je viens de payer votre rançon.


29 Septembre 2011 - Yamoussoukro, Côte d’Ivoire


Une bouteille de bière dans une main et un joint fraichement roulé dans une autre, Ed se prélassait après une dure journée de boulot. Ou plutôt, il fêtait la fin de son contrat d’un an à Abidjan en tant que chirurgien urgentiste. Il éclata de rire comme le mec bourré qu’il était, alors que la musique zoulou était sur le point de lui filer la plus grosse migraine de sa vie. Il venait de débarquer dans la capitale de la Côte d’Ivoire et la première chose qu’il avait faite : il était entré dans le premier bar sur sa route.

Il s’était rapidement fait des potes, après tout, il était toujours plus facile de se faire des « amis » quand on était accompagné de bonnes bières. On diffusait un match de foot sur la vieille télé qui était dans un coin, et si on gueulait contre les joueurs, Ed lui, se contentait d’apprécier l’ambiance et le moment. Il avait pas beaucoup l’occasion de s’éclater dans son métier après tout. Il ricana un peu en se disant que son père avait finalement eu ce qu’il voulait : Edward était devenu médecin et faisait parti lui aussi de médecin sans frontière. Youpi, l’honneur de la famille fut sauvé de justesse ! Il fronça les sourcils quand une main tapa amicalement sur son épaule, il tourna pour reconnaitre Seydou Ouattara, un ami et collègue ivoirien.

- Hey man, comment va ? Demanda Seydou avec un sourire avant de s’assoir à côté de lui au bar.
Ed fit un signe au barman de servir une bière fraiche à son pote.
- Nickel, répondit Ed en buvant nonchalamment au goulot de sa bouteille. J’suis en vacances... à moins que tu as une autre mission à me filer !

Seydou eut un rire en haussant les épaules.

- Il y a toujours du boulot, fit-il remarquer en décapsulant sa propre bière. Mais puisque tu me le demandes, j’ai vu une offre pour un médecin légiste... et vu que je sais que tu as une spécialisation en médecine légale.

Ed se gratta le haut du crâne, tirant sur son joint sans honte. De toute façon le bar était trop enfumé pour qu’on le capte vraiment.

- Mouais... Tout dépend. C’est où ?

- Une ville en Suède. Je sais plus le nom... Quelque chose avec Dod machin chose.
- La Suède ? Depuis quand on intervient dans ce genre de pays ?
Seydou haussa les épaules.
- Si on fait appel à nous c’est que ça se bouge pas. Ca t’intéresse ?

Ed termina sa bière et en commanda une autre.

- Pourquoi pas. Ce sera moins pire qu’ici de toute façon.