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 Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...

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MessageSujet: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 3:09


[Seuls les administrateurs ont le droit de voir cette image]
Lyov Zinovitch Ekel
❝ ft. Viggo Mortensen ❞




ϟ PERSONAL ID ϟ
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Nom : Ekel. ✞ Prénom(s) : Lyov. ✞ Date de naissance & âge : Hiver 1963, probablement en février. 48 ans. ✞ Lieu de naissance & nationalité : Né aux alentours de Vorkouta, il est russe. ✞ Arrivée en ville : Décembre 2002. ✞ Occupation : Gérant et serveur du Bar-Tabac Den Räknare qu'il a ouvert à son arrivée. ✞ Orientation Sexuelle : Hétérosexuel. ✞ Situation matrimoniale : Veuf, célibataire. ✞ Groupe : Främmande.



ϟ MEET THE PLAYER ϟ
Pseudo : Lisyx —  Âge : 20 — Code du règlement : OK par Tim! — Déjà un compte dans le coin ? : Ca se saurait u.u — Où avez-vous connu le forum ? : Où? Devant mon ordinateur. Par qui? Une manouche qui se touche avec des babouches — Un commentaire ? : Shtätt brug de mich de fuff!!... Vous regrettez déjà de m'avoir motivé, hein? =p
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© Crédits : coccy, Moose, eden, JEKYLL&HYDE.

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MessageSujet: Re: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 3:47


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Der Sturm treibt mich über die See...
❝ ...hinfort, von hier... Ich such deine Spuren im Schnee...❞



-Alles wird in meinen Armen Asche-

La gorge caverneuse s’étend devant lui, lugubre, d’une obscurité grésillante, d’un éclairage morbide. Une luminosité sinistre qui semble aspirer les particules de vie pour les griller, brûlant le regard sans apporter un quelconque éclairage au sol. La fin de cette trachée rocheuse aussi, brille de cette aura électrique. Comme les néons poisseux des métros souterrains. Elle brûle, tremble, frisonne comme un prédateur qui attend sa proie, ouvrant sa grande bouche démentielle, avalant les pulsations de son cœur, les respirations haletantes des Hommes qui sont passés avant lui, les lamentations fantômes des souvenirs, les pensées qui se sont bousculées, entrechoquées. Elle attend, si lointaine et pourtant si proche, jamais rassasiée, prête à l’avaler à son tour. Prête à dévorer ses pas lents et calmes, sa posture droite et son regard froid. Lui qui ne ploie pas, comme un honorable samouraï qui s’apprête à faire seppuku pour ne pas finir rônin. Le cœur de la mine, l‘appareil digestif de la Russie d‘antan, devant lui, sourit comme le katana affamé de viscères, la lame assoiffée de sang, parée à creuser son trou, ou à déchirer un sourire sanglant en un hara-kiri vicieux.
Comme s’il devait avoir honte, comme s’il devait se blâmer. Comme s’il avait perdu. Comme s’il était vaincu.
D’une certaine manière il l’était. Ils l’étaient tous.
C’était la civilisation, qui était vaincue. L’« humanité » qui s’était perdue.
Comme s’ils étaient nés pour s’entretuer.
Parce que chaque chose a pour fin sa propre destruction.
Et alors que l’homme marche vers cette bouche brûlante prête à le consumer, il se souvient.
Et l’âme de la mine pousse ses hurlements qui vrillent son crâne, résonnant contre les parois de ce couloir obscur, qui se tord, se contracte, comme un estomac essayant de le digérer, un ventre affamé, boulimique.
Les lampes et les parcours fléchés stupéfient son intellect, mais son corps continue d’avancer. Il n’arrive même pas à rire devant le panneau « sortie de secours ». Ses souvenirs ne collent pas avec le lieu. Tout semble différent. Tout est pourtant identique.
Un site touristique? Culturel? Un attrape couillon, une farce, un cirque. Les grandes bassesses de l’humanité, son irrémédiable folie transformées en attraction.
Il avance. Un pas, puis deux. Il ne s’arrête pas. La machine est lancée. Elle l’est depuis toujours, d’une certaine manière. Comme une chute interminable, comme sur une pente trop raide, il ne peut s’arrêter.
Pourtant il sait que la seule chose qui sera là, au bout, pour le rattraper, ce sera le sol.
Et il ne veut pas s’arrêter.
Il avait essayé de vivre, pourtant. Vraiment.
Il lui avait fallu du temps pour tenter le coup, prendre le risque. Et lorsqu’il s’en était enfin félicité… La nature humaine avait repris son dû, en riant bien de ses efforts. Elle a tout balayé d’un revers de main. Et il est resté impuissant, brassant l’air de gestes inutiles, à observer d’un œil effaré le virus humain s’attaquer à lui-même, une fois de plus. La violence avait bercé son enfance, chanté ses comptines, et balayé ses rues. Elle avait rongé le cœur de l’homme. Elle avait rongé le cœur des Hommes.
Pourtant il avait tout fait pour essayer d’épargner ceux qui comptaient à ses yeux. Les rares et précieuses âmes à qui il avait tout donné.
Des efforts vains. Il aurait dû le savoir. Il le savait.
« Tu ne pourras pas nous protéger éternellement. » lui avait-elle dit, et il avait refusé d’en parler. Refusé d’accepter. Pourtant, comme toujours, elle avait eu raison. Et il avait observé cette rafle de violence, ce tsunami de haine, de démence et de peur qui avaient balayé son monde.
Et il avait maudit l’électron libre qui, parmi toutes ses vies qui s’effleuraient sans se voir, avait cherché la collision. La destruction.
Le sol semble tanguer sous ses pieds, mais il ne vacille pas, continuant d’avancer sans montrer le moindre signe d’inquiétude, de panique.
Il est calme. Il est prêt. Il sait ce qui l’attend, là bas. La fin de tous ces efforts vains, de toutes ces luttes ridicules.
Il s’enfonce, continuellement, dans les mines qui ont abrité son enfance. Les mines qui recrachent dans des vapeurs de souffre et de charbon, les souvenirs monstrueux d’une humanité à son apogée, médiocre et détestable.
Il y mêle les souvenirs de ce qui a achevé son cœur flétri. Autant tout ranger au même endroit. Tous les massacres, toute la désolation.
L’image de la nature humaine, qui se dessine en grandes giclées de sang sur les parois rocheuses. Une explosion de violence, brutale, brûlante, volcanique, avec ses coulées de fiel sanglant et corrosif.

Il se fait l’impression d’être la chose la plus proche d’un dieu, alors qu’il s’avance vers un destin qu’il choisit, qu’il contrôle.
Dans sa tête : les ravages. Le cataclysme humain. La catastrophe de leur nature.
Au final, il n’a jamais rien contrôlé.
Il se fait l’impression d’être minuscule.

Il repense à l’horreur du goulag. A la peur. La terreur liquide dans laquelle la civilisation s’est plongée. Dans laquelle ils se sont agités et noyés. Cette peur glaciale qui a réveillé le monstre qui somnolait en eux. Qui a secoué l’instinct de survie et les vices à peine enterrés. Qui a fait tomber les barrières de la décence, pour tout permettre. Pour accepter l’intolérable.

En face, le gouffre lumineux semble l’appeler, râlant contre sa lenteur calculée, prêt à l’engloutir, absorber l’essence même de l’homme, acceptant sa dureté, sa froideur, son corps noué dont les fibres musculaires se dessinent sous sa peau tendue prête à se déchirer. La bouche sulfureuse se tord, se courbe, s’aiguise, rageant dans un grondement guttural contre le détachement de l’homme. Elle veut sentir sa peur, elle veut palper ses faiblesses. Elle veut le voir nu, sans carapace, sans masque. Elle veut le sentir trembler comme ceux qui peuplaient son ventre, bien des années au par avant. S’effriter, tomber en morceaux alors qu’il avance à reculons. Alors qu’il s’effondre sur le sol, secoué de sanglots.
Elle veut le voir s’accrocher aux parois dans l’espoir de remonter. De fuir. Elle veut avoir à l’aspirer, comme on aspire le poison d’une plaie. Suçant jusqu’à la moelle, digérant la mélasse amer et râpeuse qui lui sert d’esprit.
Elle veut le sentir choir. Dégringoler le long de ses espoirs. Tombant du haut du titanesque et démesuré égo de l’homme. Elle veut gouter à son vertige.
Et absorber sa chute.

Les gens ne gèrent pas la peur. Ils ne gèrent pas leur propre nature. La corruption et le mal coulent dans leurs veines. Il y a les faibles qui ont cédé à la pression, et les plus vils qui en ont profité pour attiser les foules. Il les a vus, debout sur les cadavres, à hurler, hystériques, fous, se délectant du sang qui maculait leurs visages, gesticulant dans tous les sens en se tordant de rire, jouissant devant ce torrent d’hémoglobine qui nettoyait les baraquements glacés de la maladie humaine. Une saignée infinie. Pour guérir. Soigner le mal par le mal. Il les a vu se dresser, humant le parfum de la mort et de la chaire carbonisée, se léchant les lèvres, un sourire prédateur étirant leurs traits malsains. Il les a vus, humains.
L’esprit de l’homme s’arrête un instant alors que ses dernières pensées continuent de marteler son crâne.
Et il les a vus morts. Ces cadavres qui s’entassaient au milieu des hurlements barbares et des rires hystériques. L’air satisfait. En paix avec leur haine. Comme si la monstruosité de leur nature profonde avait enfin pu éclore après des années à être bafouée. Il a vu la civilisation s’effondrer comme un château de carte. Une demeure bâtie sur le dos d’une bête endormie. Une tour croulante attendant que le dragon se retourne.
Il s’était vu lui-même, à la recherche d’innocents, à comprendre qu’ils n’existaient pas.
Il avait tant voulu éradiquer le mal. Il fallait éradiquer l’Homme.
Cet être mauvais. Un blasphème à lui tout seul. Une hérésie dans un monde où la nature avait son équilibre. Mais il est là, l’équilibre de la nature humaine. Il est à son point de rupture. A son auto destruction. L’épidémie qui se retourne contre elle-même. Une espèce corrosive qui consume tout sur son passage, dont ses propres cellules. Des particules tellement mauvaises, tellement affamées de destruction, qu’elles s’entredévorent sans hésitation. Sans morale. Cannibales.
Une espèce, qui, par lien de cause à effet, est en voie de disparition.
Une peste qui disparait sous l’œil ébahi d’une nature décalée.
Il se souvient.
Les corps qui s’écrasent les uns contre les autres, dans des craquements sinistres. Les détonations, l’odeur de la poudre, l’éclat métallique des armes improvisées. Le claquement du bois, les éclats s’envolant dans les airs, les échardes s’enfonçant dans la chaire. Et les hurlements. Les poings qui se levaient sous les paroles fielleuses des Hommes belliqueux assoiffés de sang.
Et il devait avouer qu’à l’époque, encore jeune, il avait aimé.
Le monstre de violence en lui s’était régalé de ces gueules ouvertes pour pousser les grondements furieux d’une haine libérée. Puissante. Sombre. Qui pompait un sang malade pour en distiller le poison de la nature humaine. Les gueules ouvertes, disséquées, déchiquetées. Méconnaissables et écrasées sur le bitume. Les pavés et les trottoirs foulés par les sabots des diables, les semelles des Hommes. Il avait aimé les enveloppes de chaire et de peau qui ne ressemblaient à rien, transformées en un tas d’os mouillés sur le sol.
Il était tombé à genoux. Le souffle coupé devant une telle désolation. Un spectacle sanglant mettant en scène une haine boulimique, une colère glaciale, une rage brûlante. Un décor de partisans perdus, s’autodétruisant pour survivre, rassurés par les hurlements de l’acteur d’à côté, galvanisés par la présence de sang chaud sur leurs lèvres. L’homme était tombé à genoux devant l’Homme. Stupéfait. Voyant la peur faire trembler les tripes des bactéries humaines qui s’attiraient dans un bain de fiel, une culture sanglante aspergée de haine, arrosée de cris insensés, qui cherchaient juste à masquer leur propre terreur.
Il était tombé à genoux, incapable de se mettre en colère, le souffle coupé. Au fond de lui, il avait aimé.
Après tout, c’est la nature humaine.

Lyov avale sa salive, ses pas le rapprochant indubitablement de la gueule grésillante, monstrueuse, carnassière. Son regard se trouble un instant alors que sa détermination se fait de fer. Il a été témoin d’une décadence sanglante. Spectateur de ce monde qui s’effondre. De ces hommes qui se déchirent. Il est sombre, il est noir. Brisé.
Et l’homme qui avait été témoin de tout cela, celui qui savait plus que quiconque ce dont son espèce était capable, n’avait su protéger ceux qui comptaient.
En fait, il était même persuadé d’avoir attiré ce malheur sur eux.
A force d’observer les abysses de l’humanité. A force de les fixer.
« Lorsque tu plonges longtemps ton regard dans l’abîme, l’abîme te regarde aussi. »
Il n’avait su protéger de cette nouvelle folie furieuse sa propre famille.
Décimée, déchirée, dévorée. Littéralement.
Sa femme encore vivante déchiquetée sous ses yeux, incapable de produire autre chose que des grognements gutturaux étouffés par le sang.
Son fils disparu dans un hurlement sinistre, happé par le néant dans lequel son père s’était perdu pour tenter de le retrouver.
Dans lequel son père avait fini par l’abandonner.
Il avait bien tenté d’y laisser sa raison, mais rien n’y avait fait.
« Le fou n’est pas celui qui a perdu la raison, il est celui qui a tout perdu, excepté la raison. »
Alors Lyov marche. Il marche vers la suite. Il marche vers la fin. Il rejoindra les siens, pour marcher. Encore. Vers la gueule hideuse, dévorante et asphyxiante qui lorgne sa chaire. Vers l’obscure lumière morbide. Vers les relents nauséabonds de cette maladie mauvaise et aberrante. Il marchera pour plonger au plus profond du gouffre.
Il serre la crosse de son arme. Le métal est froid et rugueux contre sa paume. Rassurant.
« Tu ne peux décemment pas continuer de t’infliger ça. » lui avait dit sa femme, un jour où il ressassait, encore.
Elle avait raison.
Il sourit intérieurement, foulant le sol glissant de son pas assuré.
Il marche.
Ses pas le ramènent là où tout a commencé. Là où tout va se terminer.
Sa main ne tremble pas, le canon pointe vers le sol comme un fil à plomb, mais l’arme est lourde, rugueuse, presque douloureuse, dans le creux de sa main. De cette douleur dont il a l’habitude, qui le rassure.
Pourtant il a besoin de resserrer sa poigne, sans appuyer sur la détente. Pour la première fois, son contact le gêne.
Gênante. C’est le terme. Gênante et douloureuse. Comme se doit de l’être une vérité, une délivrance.  
A côté de cela, elle semble tout de même adhérer à sa peau, y plantant son métal grossièrement gravé. Comme pour lui signaler que c’était sa place, son but, dès le début. Que tout cela était inévitable.
S’il le voulait, il ne pourrait même pas se détacher des aspérités de la crosse. Elles arrachent presque sa chaire, à l’image des aspérités de la vie, de ses reliefs, qui ont mis son âme à vif.
De toute façon, il ne le veut pas.
Son propre paradoxe le fascinait. Il était celui qui répugnait la violence, mais qui en dépendait. Qui haïssait la nature humaine, mais s’y lovait pleinement.
Celui qui avait vu ses lèvres forcées si souvent par le canon d’une arme, que son poids sur sa langue le rassurait.
Qu’il en était venu à aimer le goût du métal.
Lyov sourit, amusé.
Que tout cela cesse. Cette mascarade qui ne veut pas finir.
Lyov marche, contenté.
Droit vers la bouche, laide, infâme, de l’humanité.


Lorsque Lyov se réveilla, il fixa longuement le plafond de sa chambre, laissant un silence morbide s’installer. La perspective de la mort, de cette paix si réelle lui manquait déjà, et tout semblait tout à coup plus lugubre. Il était toujours en vie, et au vu de sa décision finale, celle-ci ne semblait pas s’arranger pour lui à l’avenir.
Après de nombreuses minutes d’hésitation, il finit par se lever en vue d’entamer une journée comme une autre, repoussant dans un coin de son esprit l’envie d’accélérer les choses, blasé par la perspective d’une prochaine vie tout aussi sinistre.


-I was born of the womb of a poisonous spell-

L’homme fit quelques pas. La terre gelée crissait et craquait sous les semelles de ses rangers. Son treillis noir ne le protégeait pas du froid, son esprit s’en chargeait. L’homme fut cependant secoué d’un frisson. Interne. Rien de visible. Il semblait stoïque, imperturbable. Un mannequin de cire, une statue de marbre dans cet univers de désolation. Son regard de glace balayait les environs. Il avait viré à l’acier, tranchant comme la lame d’un katana, acéré, brillant d’une flamme mortelle, aussi mordante que le climat environnemental.
Lyov ne sentait plus ses membres. Il ne sentait plus son corps. Il observait, spectateur lointain d’un passé que lui seul voyait. Angelic, quelques pas derrière lui, respectait son silence et se fondait le plus possible dans la brume, cherchant à disparaître pour ne pas empiéter sur l’intimité de son supérieur. De toute façon, elle gageait qu’il ne se souvenait pas de sa présence. Qu’il ne la voyait plus, masquée par les ombres et les fantômes du passé.
Elle dardait ses yeux sur la forêt de pins enneigés qui s’étendait un peu plus loin, mangeait par intermittence le paysage d’une blancheur relative, étendait ses branches fragiles vers un ciel cotonneux.
Elle n’osait pas regarder autour d’elle. Elle n’osait pas regarder Lyov. Elle ignorait où elle pouvait poser les yeux sans violer l’intimité de son collègue, sans lui manquer de respect.
Alors elle fixait un point lointain, incertaine de faire la différence entre les landes et le ciel. Tout était gris ici. Il n’y avait pas de distinction nette entre la terre et les airs. La brume recouvrait tout, l’étendue céleste grisâtre semblait avoir pris la flotte pour dégouliner sur terre et inonder les montagnes et les plaines d’un brouillard monochrome qui crachotait son humidité sans vraiment les atteindre. Elle avait l’étrange impression que tout aurait pu être inversé, elle aurait pu avoir les pieds dans les nuages et la tête en bas, elle ne s’en serait pas aperçu. L’endroit semblait être coupé du monde, du temps, de toute sensation, une autre dimension dans laquelle les âmes errantes se traînaient en noyant leurs plaintes déchirantes dans le hurlement du vent.
Elle semblait être décalée, être seulement à moitié dans son corps, l’esprit enfumé par la tension malsaine qui habitait l’air. La jeune femme sentit à peine son bras droit tressaillir. Un léger sursaut ordonné par son cerveau pour lui rappeler de vivre. Son corps qui tentait, par instinct de survie, d’appeler son réveil.
Elle bougea les doigts. Du moins, elle leur ordonna de bouger. Son esprit était trop occupé à fixer le vide pour vérifier si ceux-ci lui avaient obéi.
Elle vacilla un instant sur ses pieds, son bassin bougeant imperceptiblement pour rétablir sa stabilité, et se décida finalement à jeter un coup d’œil à son supérieur. Par instinct protecteur, peut-être. Vérifier qu’il n’allait pas s’effondrer au milieu de ce champ de ruine. De ses souvenirs.
Il était toujours de dos, mais pourtant, elle avait eu l’impression d’apercevoir son visage. Ses maxillaires contractées, son air faussement impassible. Son regard fou entre stoïcisme professionnel et douleur déchirante des vieilles blessures mal refermées.
C’était impossible. Il était de dos.
Et pourtant.
Angel finit par tourner la tête, observer l’étendue désertique de boue gelée, de rocs noirs tranchants qui sortaient de la terre glacée comme des autels sacrificiels attendant leurs lots de cadavres. Elle s’arrêta sur quelques poutres calcinées recouvertes de neige, ici et là. La vengeance des hommes peut-être. Ou un geste symbolique de ceux qui étaient venus en tant que moralisateur, libérateur. Il y avait encore quelques barbelés par terre, entre des amas de pierres difformes et des poutrelles métalliques tordues.
L’imagination, quelle qu’elle soit, ne pouvait pas se tromper. Le camp était bien là.
Et puis il y avait les bouches infâmes, noirâtres. Les ouvertures putrides qui se découpaient dans les monticules de caillasses et de terre. Trois poutres en bois délimitant les bords de ce gouffre avide d’os et de sueur. De sang et de rouille.
Les entrées des mines étaient à peine scellées. Certaines étaient effondrées sur elles-mêmes, probablement condamnées à coup de dynamite. Mais le regard de Lyov voyait derrière les amas de pierres noires. Derrière les pancartes enneigées et illisibles qui indiquaient sûrement de faire demi-tour. Il voyait au-delà. Son regard était absorbé, avalé par ces lèvres glaciales grandes ouvertes sur le vide charbonneux et asphyxiant dans lequel il avait trop longtemps plongé. Tout son esprit était aspiré par ces bouches laides et ignobles qui soufflaient sur lui leur haleine gelée mais fumante, aux exhalaisons nocives. Cette odeur de passé, de vécu.
Le frisson interne s’était transformé en tremblement puissant. Son estomac vibrait, littéralement. Ses intestins vrillaient, se contorsionnaient, et chaque organe interne était secoué comme sous la puissance d’ultrasons.
Lyov se demanda un instant si son cœur allait lâcher. Son palpitant semblait jouer à l’élastique dans sa cage thoracique, retenu par des artères tendues comme des cordes de guitare.
Les nausées l’avaient pris au début de ce voyage inattendu, et l’envie de vomir s’était rapidement faite habituelle si bien qu’il n’en avait plus ressenti la présence. Du moins jusqu’à maintenant. Il se demanda un instant si ses mâchoires serrées à l’extrême étaient ce qui maintenait plus ou moins son estomac au fond de son ventre.
Tout son corps était gainé au maximum, bridant l’animal fou en lui, cherchant à maintenir le flot de souvenirs qui remontaient à la surface.
Les passages à tabac. Le froid mordant. Les maladies et les hommes défigurés. L’inhumanité. L’humanité.
Les tas de cadavres qui servaient d’assise, pour ne pas geler à même le sol. Les regards vides, les regards fous. Les personnes qui refusaient de penser, les personnes qui n’en étaient plus.
Les hurlements de douleur. Cette souffrance infinie qui rongeait l’âme. Cette plainte arrachée du plus profond des résidus de leurs âmes, un dernier hurlement pour tenter de se faire entendre. Tenter de raisonner les gardiens. Les autres. Essayer de leur dire « Hey! Je suis là! Je ne suis pas encore mort! Je suis un être humain, bordel! Laissez-moi sortir, sauvez-moi, tant que je le suis encore! »
Et les larmes dans les regards, qui ne coulaient plus. Qui n’en pouvaient plus.
Le travail, dur, toujours plus dur. Le chemin de fer, la mine. 16h par jour, pour des rations médiocres. Des journées plus courtes, l’hiver, quand les jours raccourcissaient. Et encore. Au fond de la mine, ça ne faisait aucune différence.
Les souvenirs de l’extérieur, de l’au-delà, qui s’estompaient. Pas pour Lyov, non. Il n’en avait aucun. Il ne savait pas ce que c’était, l’extérieur.
Il était né ici. Pas dans ce camps, mais dans un autre. Qu’est-ce que ça changeait au fond? Enfanté des mines, rejeté par la bouche charbonneuse comme un fœtus inachevé, une monstruosité de plus qui se noyaient dans son élément. Expulsé par les lèvres glaciales de la Sibérie, qui s’étaient empressées de le ravaler, le faire chuter inexorablement dans les entrailles de la terre, tentant de l’étouffer dans ses boyaux charbonneux, puisque le froid, la maladie et la folie humaine n’avaient pas encore eu raison de lui.
Lyov tourna la tête, revivant chronologiquement les évènements. Du moins, ceux dont il se souvenait. Pour lui, c’était banal. Il n’avait connu que ça, alors…
Il ne voyait pas l’étendue désertique de neige grisâtre. Il voyait les chemins rocailleux dégagés à coups de pelles, les fumées noires qui obscurcissaient un peu plus le ciel. Il voyait les pseudos baraquements des plus chanceux, les trous à même le sol qui l’accueillaient pour la nuit. Il sentait l’odeur du charbon et de la maladie. Revoyait les visages décomposés, difformes, monstrueux, à l’image de la nature humaine. Les rails que les plus forts portaient sur l’épaule, les charrettes pleines jusqu’à la gueule de charbons, et les hommes recouverts de suie. Il revoyait les petits feux le soir, les plus affamés qui tentaient de voler, par désespoir, la nourriture des autres. Les rixes, violentes, bestiales. Encore plus enragées, poussées par l’instinct de survie, que les passages à tabac des gardiens qui ne cherchaient qu’à passer le temps.
Et les rares moments d’entraides. Une bouchée de pain accordée au voisin. Une couverture cédée au malade. Un grondement sourd contre un homme qui s’en prend à un autre.
Les sursauts de bontés au milieu de l’horreur. Une ampoule en fin de vie qui grésille dans l’obscurité.
Son passé, son vécu.
Son quotidien.
Et pourtant tout semblait s’être déroulé dans un autre univers. Il n’arrivait pas à croire que c’était sa vie. Que ça faisait partie de lui. Ca semblait tellement irréel, comme s’il n’était plus le même homme, comme s’il n’était que spectateur d’un passé qui n’avait pas laissé d’empreintes. Comme si ses souvenirs n’étaient pas les siens.
Et pourtant.
Lyov tourna la tête, suivant du regard le petit garçon qu’il était. L’enfant qui n’en avait jamais été un. L’homme qu’il n’était pas plus. Cet être d’une réalité différente, parallèle, qui s’était pris la folie des humains en pleine face, et qui s’en était contenté sans poser de questions. Sans chercher à comprendre pourquoi les autres ne la supportaient pas, secouant tout au plus la tête devant tant d’exubérance. De faiblesse.
Jusqu’au jour où il avait compris. Où il avait cru devenir fou.
L’homme observa le jeune garçon, fantôme d’un passé enfoui, slalomer entre les travailleurs, les âmes en peines, luttant contre le poids des wagons de charbon. Il se revoyait se faire bousculer, à droite à gauche. On le méprisait autant qu’on le craignait. Ce n’était pas normal d’être comme ça. L’enfant qui n’avait pas vécu inspirait le dégoût. Et l’envie, aussi, peut-être un peu. Parce que, que pouvait-on retirer à un individu qui n’eut jamais rien?
Mais quelques uns l’avaient pris sous leurs ailes. On lui avait raconté ce qu’on avait appris de lui. L’enfant qui était né sans pleurer, au milieu des décombres, du charbon, du sang et des cendres, dans une nuit houleuse et glaciale de l’hiver sibérien. On lui avait parlé de ces femmes qui avaient réussi à le cacher pendant deux longues années. Un miracle.
Un miracle qu’il ait survécu, un miracle qu’il ne se soit pas fait repérer.
Jusqu’au jour où.
Peu importait comment, le fait était que les gardiens l’avaient vu. Repéré ce petit être étonnamment calme pour son jeune âge. Pas de lueur malicieuse dans son regard, pas gazouillis innocent, de sourire candide, de grands yeux ouverts et curieux. Il était là, simplement, son petit corps trop maigre couvert de traces charbonneuses. Il était là, à subsister dans le froid, la désolation et la maladie. Dans cet océan de grisaille, ces ténèbres de la folie humaine. De l’esclavagisme.
Les complaintes des détenus, rythmés par le bruit des rails, des pioches, et les souffles rauques des forçats berçaient ses journées, les hurlements déchirants de tristesse et de désespoir, ses nuits.
Les gardiens l’avaient récupéré et il avait continué de se taire, serrant ses poings contre lui, à la fois méfiant et résolu. On l’emmenait dans un orphelinat, avait-on dit. Le temps qu’il prenne quelques années. Lorsqu’il pourrait servir à quelque chose, on le renverrait au camps.
Et des hurlements de la mère, des suppliques, des promesses.
Des coups de savates, des injures, des menaces.
Puis une résolution. Au fond, il serait mieux à l’orphelinat qu’ici.
Alors l’enfant avait été emmené, tiré par le bras comme un sac d’ordures. Qu’était-il d’autre, après tout?
4 années dans l’orphelinat.
L’orphelinat? C’était juste un prolongement du camp. Un grand baraquement qui tenait plus ou moins la route, à quelques bornes des parents qui ignoraient leurs présences proches. Une bâtisse de pierres et de bois parquée de barbelés dont la présence servait moins à empêcher les évasions qu’à annihiler toute notion de liberté avant même qu’elle naisse dans les jeunes esprits en développement.
Ils n’étaient pas des êtres vivants, ils étaient des prisonniers.
Le camp, Lyov n’en avait jamais vu l’extérieur.
Un gosse plus robuste que les autres, déjà costaud. Pourtant pris pour cible rapidement. Il ne se défendait pas. Fracassé, tabassé, il subissait sans parler. Sans pleurer. Sans montrer la moindre peur. Le moindre sentiment. Il se fichait des coups, des crachats et des injures. Il se fichait des autres. Il était parfaitement conscient d’être un détritus, peu importait qu’on lui rappelait à grand coups de pieds dans le plexus. Les autres ne valaient pas mieux.
Ils avaient fini par se lasser, le craindre, se tenir à l’écart.
Lui ne s’était pas vengé.
Non, lui, le jeune garçon, réfléchissait. Précoce, peut-être un peu trop.
6 ans, et physiquement, il en paraît presque 10. 6 ans, et il disparaît dans la nature. Evadé. Déclaré mort. Qui pourrait survivre dans ce foutu climat? Personne.
Lui.
6 ans et il retrouve le reste du camp. Sa mère doit y être. Pas sûr de vouloir la revoir, d’être vraiment lié, mais après tout, c’est un commencement. Quand on ne sait pas où l’on va, on regarde d’où l’on vient.
On le prend pour un des gamins travailleurs, il fait jeune, mais après tout, ce n’est pas le premier marmot qu’on envoie se faufiler dans les mines. On trouve du travail même pour les plus faibles. Chopé par les gardiens, on le ramène du côté des hommes. Pas trop le temps de poser des questions. Pas trop le temps d’entendre les réponses.
Et le travail commence.
La douleur, la fatigue, la surexploitation. Rien qu’il ne puisse supporter. Rien dont il n’ait pas vraiment l’habitude.
Rien que sa capacité d’adaptation extrémiste ne puisse faire tolérer à son esprit et son corps. Il ploie, se déstructure, modifie son être pour ne pas briser. Il fait ce qu’il fait depuis toujours.
Il survit.
Pour apprendre un beau jour que ses parents étaient morts. Il ignorait si c‘était vrai. Pour être honnête, il n‘avait même pas retenu leurs noms. C‘était presque un soulagement. Il n‘y avait plus de mystère, plus de passé à comprendre, plus de questions. Juste une lutte pour survivre dans le présent, qui l‘occupait suffisamment. Fin de l’histoire.
Et il grandit au milieu de la violence brute et de l’indifférence la plus totale.
12 ans, il s’échappe. Loin. Fuit en Pologne. Fait ce qu’il faut pour survivre. Découvre que la vie est bien différente de l’autre côté des barbelés. Et pourtant bien similaire. Les rafles ont toujours lieux, les gens ont peur. C’est la terreur qui règne, pas le mutisme morbide dans lequel les prisonniers s’enfermaient.
Un couple de planqués tente de le prendre sous leur aile, mais la méfiance est telle qu’une proposition généreuse ressemble à une menace.
« Lorsqu’on te tend une main, c’est pour te la foutre dans la gueule. »
Des planqués qui ne l’étaient pas assez, selon toute évidence, puisque quelques mois seulement plus tard, les voilà abattus au beau milieu de leur minable salon. Des ordres hurlés en russe, deux rafales simultanées, quelques balles dans le caisson. La fin d’une histoire qui n’avait pas vraiment eu le temps de débuter.
Se servant de la seule chose qu’il connaît, il se roule dans la violence comme un porc dans la fange.
Vols, guerres des gangs, combats de rue, il se mêlait à tout sans s’allier à personne. Seul contre l’humanité, seul contre la monstruosité. Fallait ce qu’il fallait pour survivre.
17 ans, arrêté pour voie de faits. La prochaine fois il taperait plus fort, que le flic ne se relève pas pour porter plainte. Ou quelque chose s’en rapprochant. C’était la Pologne après tout, il y avait plaintes et plaintes.
Déporté en Russie, il plonge un an dans l’enfer de ses prisons avant de retourner dans celui des goulags, purger les 4 ans restant de sa peine. 5 ans seulement pour avoir fracassé un policier, c’est que la pomme devait être encore plus pourrie que la branche. Chanceux dans son malheur.
Il fait alors face à une nouvelle forme d’exploitation. Alors que la violence était jusque là un moyen de lutter, elle devient l’instrument de sa torture. Torture qu’il adore, en bon masochiste.
Les gardiens organisent des combats entre les prisonniers.
Si ceux qui n’avaient plus rien à perdre étaient dangereux, ils n’étaient que les fils adoptifs de l’obscurité. Lyov, lui, en était l’essence.
22 ans et il sort. Cette fois, il décide de quitter l’enfer glacial pour des contrées meilleures en lesquelles il ne croit pas.
La France. Surpris. Agréablement, même. Pas le temps de s’attarder pour être déçu, il fait ce qu’il sait faire de mieux. Il s’adapte pour survivre. Et ici, on ne joue pas avec les mêmes règles. C’est la légion étrangère, pour lui. Sa meilleure chance. Sa première véritable chance.
Il y fait ses classes, ses armes, et à son plus grand étonnement, rencontre même des personnes qui valent le coup de communiquer.
Lyov se met à ressentir, avec le temps. Pudiquement, il ne montre rien, encore effrayé de ce que ça peut impliquer.
A défaut de véritablement s’ouvrir, il a tendu des mains. A eu des gestes bien à lui, des propos que lui seul pouvait tenir. Avec ceux qui, finalement, lui faisaient croire que la nature humaine n‘était pas si irrécupérable, il a pris le temps, il a donné.
Que ce soit au front, en opex classée hors service, lors des missions de renseignements, ou d’infiltrations en tout genre, Lyov morfle. Il donne tout sans être sûr qu’il reste quoique ce soit de lui en ressortant. Il replonge dans l’univers carcéral russe, faisant face à des démons qu’il avait balayé pour le bien de l’opération, avec une jouissance morbide. Celle de savoir, celle de connaître. Il était infiltré, mais en fin de compte, c’était les autres, les intrus. Lui était né ici. Enfanté par les ombres et la désolation, avec pour infirmiers des bagnards indifférents qui le berçaient de leurs plaintes déchirantes.
Il était le zek. Ses racines puisant dans les ténèbres glaciales de l’humanité.
Écorché vif, il avait laissé sur son chemin épineux des lambeaux de son âme dont il avait muré le reste derrière une forte carapace gelée. Abimé, rongé jusqu’à l’os, il avait toujours refusé de s’attacher. Il avait plus ou moins réussi, avec des hauts et des bas, mais jamais il n’avait autant éprouvé d’affection, d’amitié, voire d’amour, pour son équipe.
Angel. Il était conscient de sa présence derrière lui, malgré ce que pensait la jeune femme. Il sentait sa chaleur humaine qui l’empêchait de geler sur place.


-Ohne dich kann ich nicht sein…-

Il avait passé ces dernières années à lutter contre son attrait du vide, de la fin. De la mort. A se battre contre cette souffrance qui le brûlait sans fin, ce monstre en lui qui le rongeait, grignotait son âme, sa chaire à vif, sans anesthésie. Il avait passé son temps à fermer les yeux et reléguer au fond de son esprit son organisme déchiré, dévoré, son cœur ensanglanté éclaté, qui pulsait lentement, expirant des sifflements d’une souffrance suraigüe à chaque palpitation.
Il avait passé son temps à courir sur la corde raide, attendant de perdre l’équilibre et de chuter d’un côté ou de l’autre. Mais à chaque fois, sa raison, cachée dans un recoin sombre de son crâne, l’en avait empêché. A chaque fois il s’était fustigé en songeant à son boulot, à son unité. Il pouvait encore faire le bien autour de lui. Il en avait donc le devoir.
Malgré les petites voix qui lui disaient qu’il n’était pas quelqu’un de bien, qu’il n‘était qu‘une merde, non voulue dès sa naissance. Que l’équipe des forces spéciales qu’il avait formée était tout à fait capable d’assurer la relève, de se débrouiller sans lui. Qu’au mieux il ne servait à rien. Qu’au pire, il faisait plus de mal que de bien.
Malgré ces saloperies de petites voix qui le poussaient à la chute. Au saut.
Les hurlements de sa conscience abîmée, sa raison maltraitée.
Il avait mérité tout ça.
Bordel qu’il lâche prise, enfin!
Son malheur, sa douleur… il méritait tout ça, et la vie le poussait toujours plus à se précipiter lui-même dans le gouffre, exaspérée par son air buté, son obstination à s’accrocher à la moindre prise, aspérité, alors que bon sang, elle ne tarissait pas d’efforts pour lui faire comprendre qu’il devait foutre le camp.
Il n’avait pas sa place ici.
Qu’il dégage.

Il avait passé ces dernières années à se renfermer dans sa carapace, à s’effondrer sur lui-même tandis qu’il montrait une façade dure, forte. Il était un pilier, il n’avait pas le droit de s’écrouler. Les autres devaient pouvoir prendre appuie sur lui. C’était bien la seule chose à laquelle il pouvait servir.
Et aujourd’hui, à genoux sur le sol, hurlant mentalement les envies qu’il avait toujours enfouies au fond de lui, il priait. Pour que quelqu’un le relève. Que quelqu’un le prenne dans ses bras. Juste un contact, une chaleur humaine.
Il avait froid, il avait mal. Il était prostré dans sa douleur, ravagé par le souffle glacé de la vie qui l’avait rongé peu à peu. Les larmes sur ses joues avaient gelées avant de se craqueler sur sa peau, puis de s’effondrer sur le sol.
Il ne devait pas laisser de traces de sa faiblesse.
Pourtant, il était là.
A genoux. Espérant qu’on vienne simplement le réchauffer. Qu’on accepte ses douleurs, ses faiblesses. Il s’était perdu dans l’immensité de ses ténèbres, et il n’avait pas réussi à trouver la sortie. La lumière.
Pourtant, elle était là.
Elle était arrivée, et elle lui avait brûlé les rétines. Au milieu de ces silences, ces mots qu’il n’avait osé dire, elle avait su. Il s’était tu, et elle avait parlé. Il l’avait repoussé, elle s’était rapprochée. Sans violence. Sans brutalité. Sans lui faire mal. Avec sa tendresse qui lui coupait le souffle, qui fracassait sa carapace à grands coups d’uppercuts. Mais sans lui faire mal.
Alors il s’était simplement laissé tomber sur le sol, avait vidé son sac, retourné brutalement pour que tous ses malheurs s’étalent sur le sol. S’affaissent et se liquéfient, dans l’espoir qu’il ne finisse pas ainsi. Dans l’espoir que jeter le poids du monde par terre l’empêcherait de chuter à son tour.
Et elle avait à peine effleuré ses blessures, juste pour les réchauffer, les apaiser, avant de prendre son visage entre ses mains.
Elle lui avait donné la permission de pleurer. La permission de le montrer.
Elle était arrivée, salvatrice. Comme une apparition.
Comme une putain d’invitation à la vie.
L’avait harnaché, sécurisé, pour qu’il marche sans risque sur sa corde raide, avant de retrouver la terre ferme.
Elle avait soufflé sur son cœur, murmurant, le caressant doucement jusqu’à ce qu’il se calme, se reconstruise, chassant le monstre dévoreur de chaires par le feu de sa chaleur humaine.
Elle lui avait laissé le temps de pleurer, puis lui avait tendu la main, pour le guider vers la sortie. Pour le repêcher de son océan des ténèbres, le ramener vers l’air libre.
Et il avait senti les larmes de la jeune femme se mêler aux siennes. Il avait eu peur de sa pitié, de sa compassion. Il avait eu peur d’être comme un poids pour elle. De faire de ses douleurs les siennes. En fin de compte, elle pleurait de voir la vie s’acharner sur un homme comme lui.
Elle pleurait de le voir souffrir autant. De sentir ses tourments, ses peines qui avaient tout ravagé. Qui n’avaient laissé qu’une étendue désolée, glaciale. Un désert de sel sur lequel ses blessures sanguinolentes étaient couchées, sifflant de douleur, palpitantes.
Elle pleurait parce qu’elle aurait préféré qu’on lui prenne tout, qu’on lui arrache sa vie, plutôt qu’il ne subisse qu’un dixième de ce qu’il avait vécu.
Elle pleurait parce qu’elle avait mal de le voir ainsi.
Elle pleurait parce qu’elle l’aimait.
Et lui ne comprenait pas ces sentiments. Il ne comprenait pas comment elle pouvait voir le bien en lui, elle qui analysait le comportement humain depuis toujours. La profiler de l‘équipe.
Il ne comprenait pas qu’elle ne voit pas le monstre, la bête. Le ramassis d’erreurs qui dégueule les immondices qui envahissent sa conscience sur la berge de sa raison.
Il ne comprenait pas, et la tendresse dont elle l’enveloppait l’empêchait de réfléchir convenablement.
Il avait cligné des yeux, ébloui par cette aura lumineuse qu’elle dégageait, hébété, la gorge nouée, avant de parvenir à murmurer son prénom.

-Angel…

Il voulait la mettre en garde, la prévenir. Lui faire comprendre qu’elle devait s’éloigner, qu’elle se leurrait. Qu’il n’était pas l’homme qu’elle croyait voir.
Bon sang, n’avait-elle rien compris à ce qu’il avait dit?
Elle avait posé un doigt sur ses lèvres, pour le faire taire, et avait approché son visage avant de déposer les siennes sur son front, comme une bénédiction. Elle avait fermé les yeux, les levant au ciel derrière ses paupières, et il avait redoublé de pleurs silencieux.
Ses mains sur son cou, ses doigts dans ses cheveux. Ses lèvres sur sa peau.
Elle.
Elle avait le doux goût de l’absolution.
Comme si elle pouvait lui offrir une nouvelle chance, une nouvelle vie. Comme si elle pouvait le retaper.
Réparer l’irréparable.
Il était irrécupérable, pourtant. Il devait lui dire de ne pas perdre son temps.
Il allait ouvrir la bouche mais le souffle de la jeune femme contre son front sembla pétrifier son cerveau. Il n’arrivait plus à parler, à penser.

-Lyov, murmura-t-elle.

Et son cœur chuta au milieu de ses entrailles, tout son corps tremblant comme un tas de gélatine sous la puissance d’ondes de choc.
Elle plongea son regard dans le sien, admirant ses yeux bleus qui s’écarquillaient d’incompréhension et d’admiration devant elle, et posa son front contre le sien.

-Tu as raison quand tu dis que tu es inhumain.

Son organisme se figea, et son cœur loupa un battement, manquant de lui arracher une plainte. Il ne comprenait pas pourquoi ses gestes étaient si décalés par rapport à ses paroles. Elle avait compris, elle s’était rendu compte, c’était bien. C’était tout ce qui comptait, même si ça faisait mal. Peut-être qu’elle allait lui dire qu’il était une ordure. Un bâtard. Mais qu’il avait tout de même le droit de vivre.
Qu’elle allait lui pardonner.

-Tu es magnifique. Tu es pur. Tu es sombre. Tu n’as fait qu’encaisser, subir, morfler. Pourtant tu te bats tous les jours pour les autres, pour que ces massacres cessent. Tu encaisses les coups durs pour de parfaits inconnus, pour tes amis, pour tes proches. Tu encaisses pour qu’ils connaissent le moins possible la souffrance qui te ronge. Tu n’as jamais rien eu et tu t‘acharnes à créer pour donner. Ta vie, toi, pour les autres. Tu n’es pas humain.

L’homme l’écoutait, de nouveau perdu. Encore une fois, il ne la comprenait pas.

-Tu n’as rien d’humain, parce que l’humanité est atroce. L’humanité et ce contre quoi tu te bats tous les jours. Tu n’as rien d’humain parce que tu es profondément bon.

Son cœur se mit à battre trop fort dans sa poitrine alors que sa vision se brouillait de nouveau. Il ne voyait que les yeux verts de sa collègue. Son amie. Sa sauveuse.
Celle qui trouvait les mots.
Il ne pensait pas que ceux-ci pouvaient avoir un tel pouvoir.
Il battit des paupières pour chasser la nuée de larmes amères qui embrumait sa vision, et l’observa se pencher vers lui. Son visage si doux, si beau. Celui d’un ange. L’être aux ailes de gaze, qui débarquait sur la scène de son théâtre banal.
Et l’ange posa ses lèvres sur les siennes.
Dès lors, il identifia son goût.
C’était la renaissance. C’était l’amour débordant dont seule elle pouvait faire preuve.
Un amour qui tombait à genoux devant lui.
Il ne comprenait pas. Mais ce n’était pas le moment.
Là, il plongeait dans la lumière de cette femme, et priait pour ne jamais en ressortir.
La vie avait peut-être changé d’avis.
Quelqu’un, ce soir, lui avait tendu la main. L’avait vu dans les ténèbres et l’avait pris dans ses bras. L’avait aperçu dans l’obscurité, et pourtant, l’avait vu tel qu’il était.


-...und die Vögel singen nicht mehr…-

La douleur lui coupait le souffle. La brûlure qui marquait son cœur le rendait aveugle. Il ne voyait plus rien, n’entendait plus rien. Le monde s’était écroulé, et il avait l’impression de tomber en morceaux avec lui.
La main pressée sur la poitrine, ses doigts plantés dans sa chaire, il cherchait à arracher l’organe à vif responsable de ses maux. Tout son corps tremblait, ses tripes vibraient, se contorsionnaient et se contractaient comme un boa constrictor qui cherchait à s’étouffer lui-même.
Pas nécessaire, il asphyxiait déjà.
La douleur avait imbibé chaque fibre musculaire, chaque nerf, mettant à vif son épiderme, faisant bouillir son cerveau dans une boîte crânienne fissurée. Il ne s’était pas imaginé qu’une telle souffrance pouvait exister, et il pensait sincèrement qu’il n’y résisterait pas. Il allait y rester. Là, maintenant. Son cœur allait lâcher. Comment pouvait-on soutenir un tel mal?
Ludwig le regardait, hébété. Il avait mal, lui aussi. Mais la douleur semblait lointaine, et il ignorait si c’était le coup de massue psychologique qui l’anesthésiait, ou la vision de son supérieur dans cet état. Il était courbé, plié en deux, tombant peu à peu à genoux, se tenant la poitrine, comme si il voulait y plonger ses doigts.
C’était comme si, enfin, il remarquait l’importance que la femme avait pour lui. Bon sang, c‘était sa femme, il le savait! Depuis bien longtemps elle n‘était plus qu‘une simple collègue. Mais être témoin de cet amour, de la plus violente façon qui soit...
Ce qui le choquait plus, se frayant un chemin dans son état végétatif, frappant son cerveau inerte à grands coups de bélier, c’était ses râles. Ces grognements bestiaux d’un animal à l’agonie, dans la plus terrible souffrance. Une douleur pure, brute, dans son état le plus naturel possible. Ce n’était pas les cris de désespoir ou de douleur auxquels il était habitué, les hurlements des femmes et hommes qui pleuraient leurs conjoints. Non. Il avait l’impression d’assister à un démembrement. Un long écartèlement, auquel l’homme tenterait de résister. Il essayait de garder dans sa poitrine les râles d’agonie qui croissaient, pompant sa vie, se nourrissant de celle-ci pour faire fleurir leurs ronces qui lacéraient son être, s’enroulant autour de son corps sans cesser de serrer. Il avait l’impression qu’il allait s’effondrer, et que chacun de ses membres tomberait de part et d’autre de son corps, s’arrachant à lui, alors que son âme de déchirerait en partant en lambeaux malgré sa lutte vaine pour rester uni.
Il se déstructurait sous les yeux de ses collègues, embués de larmes.
Les médecins, eux, s’affairaient autour de lui. Son corps à peine sorti du bloc opératoire ne pouvait résister à un tel choc. Une telle agitation.
Même quelqu’un en bonne santé n’y résisterait pas. Pourtant Ludwig restait en travers du chemin, hypnotisé par cette douleur qui lui coupait le souffle, lui arrachait les tripes, et devant laquelle il était complètement démuni.
Comment pouvait-il lui dire, qu’après la mort de sa femme, il devrait encaisser la disparition de son fils? Que le petit Alek n’avait pas été retrouvé? Que le garçon de 5 ans, son âme innocente, sa joie de vivre insouciante, sa profonde générosité et son sourire d’ange avaient été happé par le néant duquel son père était sorti?
Il revoyait le gamin plein de vie, cette tignasse cendrée aux yeux vairons qui tourbillonnaient dans toute la maison.
Disparu.
Absorbé par les ténèbres.

-Poussez vous!

Lyov tentait toujours de retenir les râles qui déchiraient sa poitrine, et ceux-ci entrecoupaient le monologue du médecin, qui, beuglait des ordres censés sauver sa vie, tentant d’en faire abstraction.
Mais le petit Alek courait toujours, tournant sur lui-même dans de grands éclats de rire, valsant au milieu des hurlements d’agonie de son père, des bips incessants des machines, du regard calculateur des ténèbres prédateurs qui le lorgnaient vicieusement.
Ludwig vacilla sur ses pieds, hypnotisé par la danse de l’enfant, par le sourire de sa mère, son amie. Sa meilleure amie. Hypnotisé par les giclées de sang qui teintaient ses rétines de pourpre. Par le corps de la jeune femme, à moitié dévoré par un fou. Par les traces de morsures qui parcouraient le peu qui restait de son corps.
Jusqu’aux os.
Hanté par celui, lacéré, de son supérieur.
Ses souvenirs tanguèrent un instant, son regard aussi.
La chambre vide, du petit. Désertée. Les maquettes de vaisseaux spatiaux, de satellites, les cartes étoilées qui couvraient les murs, la collection de pierres de météorite. Rien n’avait bougé. Même le lit était fait.
Aucun vêtement ne traînait. Quelques jouets dans un coin, des livres. Une lampe de chevet froide.
Il ne manquait que lui.
Le silence le choqua enfin. Lyov avait cessé de grogner. Il était affalé contre le rebord du lit dans une position étrange, à moitié assis, à moitié à genoux, le regard dans le vide, les lèvres entrouvertes, laissant filtrer un souffle douloureux et rauque. Il n’avait plus la force de pleurer, de hurler de douleur. De lutter. Il était tombé en ruine, déchiré, et son visage tiré en sueur, s’il était crispé par la souffrance, n’était plus déformé par les grimaces douloureuses précédentes. Ses cheveux étaient collés par parquets contre son front et ses joues, et Ludwig était hypnotisé par les bulles de salive ensanglantées qui sortaient de ses lèvres au rythme de sa respiration.
Il n’y avait plus rien en lui. Il ne restait que le néant, ce trou noir aride, ce gouffre abyssale de souffrance qui absorbait tout ce qui passait à coté, affamé de douleur et de vie brisée.
Morgan le fixait aussi, comme si le quitter du regard causerait sa perte. Comme s'il allait éclater en morceaux. Pourtant personne ne bougeait. Il n’était pas certain qu’il était conscient des regards posés sur lui, tentant de lire son âme, de prévoir le moment où son esprit écartelé s’étirant à l’extrême allait céder pour de bon.
Alors, lentement, il tourna la tête vers eux, et Ludwig plongea son regard dans le sien, aspiré à son tour par le néant qui y avait pris place.


-Leg mir die Schlinge um den Hals, bis ich dich überleben kann.-

« Il nous a laissé avec un trou noir. Un gigantesque vortex de ténèbres qui aspire tout, détruit tout. Qui nous hante et vampirise nos vies, nos pensées. Un vide omniprésent, substantiel, qui arrache tout, dévore les chaires et les souvenirs, une bouche fumante et avide, laissant ses trainées acides d’une salive remplie de doutes et de peurs, de questionnements sans fin. Un leitmotiv qui vient bercer nos terreurs nocturnes.
Il nous a laissé des cendres et de la poussière, un gout de poudre à canon sur la langue, de sang sur les lèvres. Il nous a laissé l’absence pour seul partenaire, et le silence pour écho. Ce dernier émousse nos murmures, étouffe les timbres de nos voix ; il s’enroule autour de nos cordes vocales et s’y noue, la vie qui nous présente sa version du jeu du foulard.
Et j’ai vu la terreur qui écarquillait nos regards, j’ai vu cette atmosphère de peur qui asphyxiait nos cervelles, tremblantes dans nos boîtes crâniennes, entrechoquant des neurones gelés, faisant vibrer des os décharnés sous une peau à vif, la faucheuse qui d’un geste nous paralyse, agitant un scalp d’angoisse exsangue.
J’ai respiré à plein poumon cet air malsain, corrosif, absent de tout oxygène. Poisseux, suintant du poison de la nature humaine, le même qui coule dans nos veines.
J’ai pleuré, pleuré de la bile, abrasive, qui vient ronger la chaire et les espoirs, les souvenirs et les sursauts de volonté. Ces bourgeons de force, dans mon jardin d’enfant, étouffés par cette mauvaise haine, qui a tout ravagé.
J’ai hurlé, hurlé à la mort, gorge déployée par la douleur et l’amertume. Les blessures à vif sous une armure qui tenait plus d’une vierge de fer médiévale que d’une vraie carapace.
A défaut d’exploser les murs, j’y ai explosé mes jointures, salissant le plâtre de mon sang noirci et souillé, crachant mon fiel dans une obscurité rassurante, qui me cachait, et qui l’a avalé, affamé, avide de ma décadence. Qui l’a masqué à son tour.
Il n’a rien laissé d’autre qu’un champ de cendres, dévasté, de la poussière qui se gorge d’un sang qui ne veut jamais sécher. Un corps blessé et meurtri, un objet inanimé, pantin aux fils arrachés, un semblant de vie amputé de son enfance.
Et ces souvenirs incessants qui ne nous laissent jamais en paix, ce flux d’images qui hurlent leurs vérités, réalités auxquelles on n’est plus sûr de croire. Ces histoires bourrelles qui abattent leurs conséquences comme le tranchant d’une guillotine, taillant encore et encore, dans la chaire frémissante de nos corps à vifs. Ce brouillard grésillant qui emprisonne le cerveau dans une migraine malsaine, des pensées noirâtres qui se chahutent dans leur cage d’acier.
Et des questions intolérables, intolérantes…
[...]
Cette victimisation bancale mêlée à une culpabilité douteuse que l’on a engendrée, comme un fœtus sans vie qu’on ne cesse de rejeter avant de le ravaler, qui obstrue la gorge avant de se loger dans les tripes, y faisant ses nœuds, y faisant son nid.
[...]
C’était ça, au fond.
Être accroc à l’adrénaline dans nos veines, au parfum du vice dans l’air. A la violence qui boue au milieu des tripes, qui fait trembler les os.
Avoir tellement baigné dans le sang que son aigreur en est devenue rassurante. Que toute émotion positive, tout sentiment considéré comme sain, ne sont que des brèches dans le cachot sombre et glacial qui nous enfermait, qui nous rassurait. Des failles qui laissent pénétrer une lumière brûlante qui nous irrite, corrosive, fume nos chaires et nous tue à grand feu.
C’était ça. Avoir le goût du sang dans la bouche pour madeleine de Proust.
C’était ça.
Il n‘y a rien de plus. Rien d‘autre. Rien de ce qu‘il y aurait pu avoir avant lui, puisqu‘il n‘y a pas eu d‘avant. Il n’y a que ses créatures malsaines et agonisantes, qui tentent de détruire la moindre source de vie pour ne pas la voir mourir, pour être immortel. Comment pourrait-on être détruit, si l’on n’existe pas? Comment pourrait-on disparaître, si l’on n’a jamais été là?
Les moins chanceux avaient connu la vie avant de se l’arracher pour satisfaire au statut d’immortel, les plus chanceux, comme moi, n’avaient rien connu d’autres.
Ils n’avaient jamais respiré l’air frais, l’oxygène pur, juste cet atmosphère de vices asphyxiants.
Ils ne connaissaient ni la peur, ni le bonheur, ni la tristesse, ni l’euphorie, ni la douleur.
Ils ne ressentaient rien.
Ils étaient mort-nés. »

Lyov reposa son stylo et ôta ses lunettes. Les fines montures rectangulaires rejoignirent minutieusement le bois sombre et abîmé du petit bureau, alors qu’il effectuait ses gestes machinalement, sans penser à ce qu’il faisait. Il se noyait dans la mélasse qui lui servait de cerveau, incapable de fixer une idée, de stopper le tourbillon de pensées qui s’agitaient en lui, virevoltaient, passaient à sa portée si vite qu’il en avait à peine entrevue une qu’elle avait déjà disparu. Il avait l’étrange impression d’être embourbé dans un marécage, et l’épuisement physique qu’était le sien n’arrangeait pas les choses.
Il carburait à froid, dans une semi-conscience, continuant d’avancer sans se poser de questions sur son état, sachant pertinemment qu’il ne pourrait être satisfait des réponses. Il avait atteint un stade de quasi non-retour, et était conscient qu’il continuait de chuter. Bientôt il s’effondrerait et il n’était pas certain de pouvoir se relever.
L’homme se redressa, prenant appuie sur le meuble grinçant devant lui, et relégua dans un coin sombre de son esprit les sensations de fatigue extrême qui s’acharnaient à lui rappeler qu’il ne tenait plus le coup. L’arrière de ses cuisses tirait ostensiblement, ses tendons prêts à se déchirer, et l’ancien militaire reconnaissait là le signe d’une dénutrition et d’un épuisement manifestes. Il se contenta de se traîner vers le buffet, en face de la grande fenêtre en vitrail, pour se servir une énième tasse de café. Les sensations disparaitraient bientôt, il en était conscient. Son cerveau débrancherait les capteurs, et il ne ressentirait ni la fatigue, ni la douleur, ni la faim que son organisme hurlait mais que son estomac refusait d’entendre.
Il était incapable d’avaler quoique ce soit. Rien que l’idée lui donnait des nausées. Plus rien n’avait de goût, hormis l’autodestruction et l’étrange fascination qu’il éprouvait en s’observant tomber en ruine. En poussant toujours plus loin, petit à petit, son corps. Il n’était pas certain d’être en train de tester ses limites. Il n’était pas certain d’avoir le contrôle, ni même de vouloir l’avoir, pour la première fois de sa vie. Il ignorait s’il était en train de se détruire tout en maîtrisant suffisamment le processus, ou s’il avait simplement jeté son corps du haut d’une falaise, avant de se pencher au bord et d’admirer la chute avec un intérêt autant artistique que scientifique.
Il n’avait pas senti le dérapage. C’était la seule chose qu’il savait vraiment. Bien sûr, la lutte contre la gravité, le soubresaut de son instinct de survie avant d’accepter et de se laisser faire avec délectation, il les avait sentis. Légèrement. Quand il s’était un minimum rendu compte de l’état dans lequel il était. Mais il serait incapable de définir le moment exact où il avait glissé, dérapé, chuté. Où il avait refusé, inconsciemment ou non, de rétablir son équilibre.
Lyov porta le mug nouvellement rempli à ses lèvres. Le breuvage amer recouvrit ses papilles, brûlant sa langue, sa trachée, et la totalité de son dos, diffusant sa chaleur le long de sa colonne vertébrale, et imbibant chaque muscle. C’était l’une des rares sensations de bien être qu’il éprouvait, ces derniers temps, et il n’était pas surpris qu’elle soit si étroitement liée à la douleur.
L’homme plissa les yeux et laissa son regard de glace filtrer à travers les vitraux détrempées. Le panorama était déformé par la pluie qui martelait le verre et la brume qui étouffait le paysage entre son corps difforme et l’obscurité dévorante, mais le soldat ne le remarquait même pas. Il regardait sans voir, scrutant tout au plus la mélasse sombre de ses pensées que son cerveau anesthésié étalait devant lui comme un marécage vaseux dans lequel il s’embourbait sans pour autant y avoir encore mis les pieds.
Un horizon grisonnant et un silence grésillant, voilà ce que le militaire laissait de côté en fixant soit l’armature cuivrée des vitraux, soit les forêts et montagnes embrumées habituelles de la Suède.
L’odeur du café parvint à se frayer un chemin dans son mutisme, et il porta de nouveau la tasse à ses lèvres, saisit d’un réflexe Pavlovien qu’il ne contrôlait pas. La sensation habituelle lui rappela qu’il restait quelque chose de lui. C’était bien le seul aliment qui n’avait pas perdu sa saveur, même le bourbon était devenu fade. Le goût amer sur le bout de sa langue, la sensation de soulagement, et les réminiscences qu’il soulevait lui fit une drôle d’impression.
Il ne parvenait pas à savoir s’il restait quelque chose au fond de lui qui gardait le contrôle, qui témoignait de son statut d’être vivant, qui prouvait qu’il n’avait pas encore percuté le sol, ou si au contraire, il ne restait pas, tout simplement, quelque chose de plus à annihiler. Une racine coriace à arracher.
Il songea à Angel, un instant, à ce qu’elle penserait en le voyant ainsi. Peut-être l’engueulerait-elle, peut-être se détournerait-elle avec dégoût. Peut-être ne ferait-elle qu’acquiescer d’un signe de tête, peu étonnée de l’issue des choses. Ça devait arriver.
Elle aurait probablement été déçue qu’il plaque sa carrière militaire pour prendre le large, enfouissant son incommensurable peine dans les tréfonds de l’océan, laissant les hurlements du vent couvrir le bruit de son âme se déchirant.
Et lorsque sept ans à parcourir les mers et les ports ne lui avaient permis de retrouver son fils, incertain de savoir s’il cherchait par conviction ou habitude, il avait amarré en Suède, prêtant son voilier à un breton expatrié en mal de tempêtes maritimes pour s’enfouir dans les profondeurs du pays, plaçant ses espoirs dans cette ville dont on lui avait parlé en si mauvais termes.
Angel n’aurait certainement pas apprécié qu’il aille se terrer là bas pour y trouver la mort et lui demander une dernière danse.
Peu importait. La ville ne l’avait pas vraiment déçu, mais pas fasciné non plus. Elle était sombre, lugubre, sinistre. Parfois morbide. Rien d’inhabituel pour lui.
Mais au moins, elle était calme. Ou presque.
Elle ressemblait à un champ de mines. Les gens erraient comme des zombies, lents, seuls, silencieux, avant de céder à la pression en eux qui se traduisait par une explosion de violence, puis de reprendre leur route comme si rien ne s’était passé.
Accoudé derrière son bar aux airs marins, il voyait ça toute la journée. Du moins, lorsqu'il ne déléguait pas à son acolyte pour aller se tuer à l'entraînement.
Angel n’aurait vraiment pas aimé ça.
Il soupira devant l'omniprésence de sa famille dans ses pensées. Il se torturait, tout en s'y accrochant.
Cherchant encore à comprendre pourquoi elle apparaissait à lui comme une raison de s'accrocher à une vie qu'elle avait désertée.




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MessageSujet: Re: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 9:14

Bienvenue ici, j'crois que ça va venir le coup d'aller au bar si tu essuies les verres en marcel ou torse nu face
Perso bien intéressant en tout cas !
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Noah Diesbach
Noah Diesbach

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Occupation : Ancien homme de main & homme à tout faire, facteur de Dödskalle
DC : Yngve l'amoureux des cadavres et Saria, l'amoureuse de la propreté.

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Son rêve: Il ne l'a pas encore fait, il est en ville depuis trois ans.
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MessageSujet: Re: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 10:13

Officiellement bienvenu sur le forum
et trèèèès bon choix d'avatar  pumpitup pumpitup pumpitup 
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Timothy L. Carrington
Timothy L. Carrington

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Âge : 27 ans
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DC : Emrik & Eija.

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Son rêve: N'a pas encore fait son rêve, est en ville depuis environ un an.
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MessageSujet: Re: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 10:21

J'en reviens toujours pas...  hug2 

Bienvenue dans les parages moussaillon! (oui roh un peu de légèreté tout de même  whistle ) J'espère que tu te plairas par ici et j'ai hâte de voir tout ce que nos RPs vont bien pouvoir donner avec nos persos aussi pessimiste l'un que l'autre!  pumpitup (oui un petit smiley tout guilleret s'imposait) Et j'ai tellement rit en lisant le commentaire, cette devise nous suivra jusqu'à la maison de retraite je présume!  hehe 

Bref, encore bienvenuuuue  bigcoeur 
(je te mets des petits coeurs partout, je sais que tu aimes ça  coeur )
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Le Maire
Le Maire

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MessageSujet: Re: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 10:50

lejd våldsman
❝ félicitations, tu es officiellement validé(e) ❞


[Seuls les administrateurs ont le droit de voir cette image]
Bravo à toi, te voilà très officiellement validé(e). Tu fais maintenant partie de la vénérable troupe des Dödskalliens et tu as gagné le droit de venir errer avec nous dans cette charmante ville suédoise !


Avant de commencer, pense bien à faire toutes les choses importantes :

- recense ton avatar [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien].
- si ton personnage a déjà fait son rêve, merci de nous signaler les circonstances de sa mort [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien].
- pour demander un logement, [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien] et pour recenser ton métier [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien].
- pour les fiches de liens (qui sont facultatives) ou les demandes de liens, c'est [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien].
- pour demander des RPs ou faire un récapitulatif de tes sujets en cours, [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien].
- dans tous les cas, pense bien à compléter ta fiche de personnage qui se trouve sous ton avatar et que tu peux générer directement depuis ton profil.
- pour en savoir plus sur le système de points mis en place sur le forum, [Seuls les administrateurs ont le droit de voir ce lien].
- n'oublie pas non plus qu'il faudra recenser ton personnage tous les mois !


En attendant, toute l'équipe administrative de YODO te souhaite la bienvenue et te souhaite de passer d'agréables moments par ici. Après tout, les rues de Dödskalle sont réputées pour être calmes, pas vrai ?...

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MessageSujet: Re: Лёв Зинович Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht...   Лёв Зинович  Экель - Schlag mir ins Gesicht bis mein Kopf zerbricht... EmptyMer 6 Aoû - 10:54

xD Oui, j'adore les petits cœurs...   heart1 En voilà un rien que pour toi :  heart3 
Je ne doute pas un instant que je vais me plaire ici, merci de cet accueil chaleureux ! (Qu'il soit pour moi ou pour la splendide plastique de ce cher Viggo =p)
A vos rps camarades!
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