Zagreb, Yugoslavia, September 1991
« What are you drawing, Ana? » Je tourne la tête pour jeter un regard timide à la gamine blonde qui me fixe. Je dépose mon crayon, regardant la feuille de papier. Je dessinais mes parents, ou du moins ce à quoi je pense qu’ils ressembleraient. Seulement maintenant je ne suis plus très certaine si je dois poursuivre ou m’arrêter. Je me sens honteuse de lui dire la vérité. Elle tente de voler mon dessin mais je pose fermement ma main sur celui-ci, le protégeant pour qu’il reste sur la table. « What, are you hiding something, Oksana? » Son regard croise le mien et je baisse les yeux, observant le portrait de ma famille imaginaire que j’ai dessiné. « I was drawing my family. » Je murmure mes mots et regarde le sol, comme si je devais avoir honte de ce que je fais. La petite fille se met à ricaner et je rougis. « You don't even have a family, silly, you're here because nobody likes you. » Je tremble légèrement, je n’aime pas lorsqu’on me dit de telles choses. Je n’ai jamais connu mes parents car ils ne voulaient pas de moi. J’étais sans doute une erreur, mais pour l’instant je ne comprends pas ça. Tout ce que je vois, c’est que j’ai été abandonnée ici, dans ce grand orphelinat avec beaucoup d’autres enfants, et que je n’ai personne au monde. Certains enfants ici ont des frères et des sœurs qui les accompagnent, d’autres ont l’espoir de partir d’ici. J’espère moi aussi pouvoir m’en aller, avoir des parents et une famille. J’aimerais avoir des frères et des sœurs. Ne plus être toute seule. Je ne me mêle pas beaucoup aux autres, ils sont trop méchants. Peut-être que plus vieux, ils ne seront plus comme ça.
Zagreb, Croatia, June 2000
« You are late for your class again, Oksana. » Je baisse la tête, je n’ai rien à dire pour ma défense. J’étais avec lui et il m’a demandé de rester. Après tout ça ne servait à rien que j’aille à ce cours, selon lui. « I know, forgive me Sister. » Je reste droite comme un piquet alors que la vieille religieuse me regarde de la tête aux pieds. Mes mains tremblent dans les poches de ma veste, j’ai l’impression qu’elle sait déjà tout de l’histoire. Après quelques instants à rester ainsi immobile, elle finit par bouger, se mouvant lentement en direction de la porte du petit bureau, la refermant. Je sens le regard du Christ sur le petit crucifix qui me regarde, comme s’il me jugeait lui aussi. Je baisse une nouvelle fois la tête lorsqu’elle revient vers moi. « We are worried about you, Oksana. You disobey the rules and don’t go to prayers classes… You never did such things before. » Je me tortille sur place, regardant du coin de l’œil les tableaux sur les murs représentant différentes scènes de la Bible. Je pourrais encore tous les nommer, aujourd’hui, même s’ils ne représentaient rien du tout. Mon regard se porte ensuite sur la bibliothèque. Tant de livres, je me demande si elle en a seulement lu la moitié. « I was doing something important… » Je murmure les mots qui sont presque inaudibles, et la sœur me regarde d’un air strict, n’achetant pas mon excuse. « What on earth is more important than school, Oksana? » Je regarde le plancher et reste muette, ne trouvant pas de réponse.
« Cher journal,
Aujourd’hui j’ai rencontré un garçon, ou je devrais plutôt dire un homme. Son nom est Jannik, et il est très gentil. Il s’intéresse beaucoup à moi. Je ne voulais pas avouer à Sœur Teresza que j’étais avec lui aujourd’hui, car je sais qu’elle n’aurait pas approuvé que je rencontre un garçon qui est plus âgé que moi, encore moins durant les heures de classe. Jannik a vingt ans et il est originaire de la Suède. Il m’a promis qu’un jour, lorsque je serai assez vieille, il m’emmènera là-bas avec lui. J’espère qu’il dit la vérité. Je n’aime pas Zagreb, principalement car j’ai toujours été dans cet orphelinat et aussi à cause de toute la religion. Ils nous répètent de croire en Dieu car il est le seul qui puisse nous guider dans la vie, et que Dieu est partout autour de nous, mais je ne crois pas qu’Il existe. Parce que si Dieu existait réellement et qu’il était toujours à mes côtés, je ne ressentirais pas toujours cette horrible solitude qui me pèse constamment. »
Zagreb, Croatia, August 2000
Je regarde le grand home blond quitter la chambre pour la salle de bain et me cache dans les couvertures du lit, tentant tant bien que mal de couvrir mon corps nu du mieux que je peux. J’ai l’impression que je vais vomir, tant je suis nerveuse. J’ai envie de pleurer, mais j’ai trop peur pour le faire. Je n’ai pas envie d’avoir l’air d’une enfant devant Jannik. Il va arrêter de m’aimer si je pleure. J’entends ses bruits de pas alors qu’il revient vers moi et je sens l’odeur de sa cigarette dans l’air. Je fronce discrètement mon nez. Je n’aime pas quand il fume. « Stop doing that pity look. I know you liked it. » La tache rouge sur le lit ne s’effacera sans doute pas dans la lessive, marquant pour toujours ce jour où j’ai cessé d’être une fillette pour devenir une femme. Ou du moins c’est ce qu’il dit. Je regarde le parquet en bois, gardant le silence. « You’re the one who wanted to, anyway. You asked for it. » Je ne me rappelled pas lui avoir demandé quoi que ce soit, mais je hoche tout de même la tête en signe affirmatif car je ne veux pas qu’il se fâche. Parfois il devient furieux et me fait des choses méchantes, mais il dit toujours qu’il est désolé ensuite, alors je le pardonne. Il m’aime, qu’il me dit. « Is it always going to hurt like that? » Je pose ma question timidement et rougis, parce que je voulais pleurer pendant tout le temps qu’il était au-dessus de moi, alors que je regardais le plafond de la chambre en écoutant le matelas grincer. J’espérais que ça se termine rapidement sans avoir le moindre plaisir. Il m’avait dit que ce serait amusant, mais je ne me suis pas du tout amusée. « Only if you tell me to stop. » Il me fait un sourire que je ne reconnais pas comme étant mauvais sur le moment. Je ne suis pas préoccupé par sa réponse non plus. Peut-être que je devrais l’être. Mais je l’aime tellement, et il est la seule personne que j’ai sur terre.
Zagreb, Croatia, February 2002
« Cher journal,
Dans deux mois, j’aurai seize ans. J’aurai enfin le droit légal de quitter l’orphelinat grâce à Jannik. Il va demander à devenir mon tuteur, puis il m’emmènera en Suède avec lui. Je suis vraiment très heureuse et j’ai très hâte d’enfin rencontrer sa famille et de voir à quoi ressemble son pays. Pour les photos qu’il m’a montré et que j’ai trouvé dans les livres ainsi que sur internet, c’est vraiment très beau. Quand je raconte aux autres filles que Jannik va m’emmener avec lui, elles me disent toujours qu’il est un manipulateur et qu’il ne m’aime pas réellement. Je ne les crois pas. Elles disent que la façon dont il me traite est mal, mais elles se sont toujours moqué de moi et m’ont tourné le dos depuis ma plus tendre enfance. Parfois, Jannik devient très fâché. C’est souvent car j’ai fait quelque chose de mal, et il me gifle ou me frappe. Mais il s’excuse toujours et me dit qu’il m’aime. Il dit aussi que les autres sont jaloux de notre bonheur. Je pense qu’il a raison. Jannik est un bel homme et il est très intelligent. Il est vendeur, mais je ne sais pas exactement ce qu’il vend. Il est assez évasif parfois quand je lui pose des questions, et il devient facilement irritable alors je n’en pose pas très souvent. Je n’arrive pas à croire que dans deux mois, nous serons enfin ensemble pour toujours, et que je quitterai enfin la Croatie pour m’installer avec lui en Suède. Je n’aurai plus à rester toute seule dans cet orphelinat et ce sera enfin un nouveau départ pour moi. Il me tarde de voir ce que le monde peut m’offrir ailleurs. »
Dödskalle, Sweden, May 2002
« Cher journal,
Les choses ne sont pas comme il me les a promises. Jannik n’a pas de famille. Il m’a expliqué qu’ils sont tous décédés à cause d’une sorte de malédiction sur la ville. Il m’a aussi dit qu’un jour, moi aussi je ferai un rêve et je verrai la façon dont je mourrai. Je ne crois pas en son histoire, c’est complètement fou. Nous vivons dans un petit appartement dans cette ville qui s’appelle Dödskalle et je trouve cet endroit assez sombre et étrange. J’ai tenté de me trouver un emploi en tant que serveuse lorsque je suis arrivée, pour pouvoir aider Jannik à payer les factures, mais personne ne voulait m’engager car je ne parle pas suédois. Jannik m’a dit que de toute façon, je devrais rester à la maison. Je m’occupe de faire le ménage et préparer les repas dans notre petit appartement et il n’y a pas grand-chose à faire durant la journée. J’essaie de regarder la télévision, mais je comprends à peine les programmes. Jannik m’enseigne à parler suédois, mais il travaille beaucoup alors il n’a pas beaucoup de temps à me consacrer. Je tente donc de l’apprendre seule, mais c’est très compliqué. De plus, Jannik n’est pas très patient. Il me dit que je ne suis pas une bonne élève et que je suis un eu lente. Parfois même il me dit que je suis stupide. On me disait souvent que j’étais idiote et niaise en Croatie, mais je n’écoutais pas les filles de l’orphelinat car elles étaient seulement méchantes avec moi. Mais si lui me dit que je suis stupide, c’est peut-être vrai. Je me sens coupable car il dit souvent que je suis inutile car je suis incapable de rien faire. »
Dödskalle, Sweden, November 2002
La chaise vole sur le mur, je l’évite de peu. « You little slut, come here, I’m not done with you! » Je tremble comme une feuille et je ravale mes larmes, sachant que si je pleure les choses seront seulement pires. « Jannik, it’s not what you think… » Je laisse échapper un cri strident, surprise lorsqu’il me lance cette fois-ci la lampe installée sur la table basse. Elle m’atteint, puis éclate sur le sol à mes pieds. Je pose ma main sur mon épaule qui est assez douloureuse. J’y ai déjà une ecchymose, de toute façon. Ça ne peut pas être pire. « Oh, what is it then? Did you fuck him? So he would teach you how to speak Swedish? Is it how you repay him?! ANSWER ME. » Il ne me laisse pas le temps de répondre qu’il s’avance et me gifle violemment. Je recule contre le mur et des larmes coulent bien malgré moi. Une douleur aigüe s’empare de mon visage. « No, I just clean his house. He teaches me and I clean his house. » L’homme qui vit dans la maison en face a remarqué que j’étais souvent seule, un jour, et il a décidé de m’aborder alors que je revenais d’aller faire des courses. Il m’aide beaucoup à apprendre le suédois, et en échange je fais un peu de ménage chez lui. C’est un vieil homme. Il ne se passe rien de plus. Pourtant, Jannik croit le contraire. « You’re a whore. You cheat on me with an old man so he teaches you how to speak? Oksana, how dare you do this to me? » Je le regarde, impuissante. Même si je le lui répète cent fois il ne me croira pas. « I am sorry, Jannik. I will not do it again. » Ma gorge est serrée alors que je dis mes excuses qui n’ont absolument pas lieu d’être. Seulement je sais que dans cette argumentation, il n’y a aucune chance que je gagne. Je baisse la tête et d’une main il la relève. « You disgust me. » Il me crache au visage, puis la suite devient encore pire. Sa main agrippe mon bras et je sens ses doigts se renfoncer dans ma chair. Je retiens un gémissement de douleur, sachant que plus je m’exprime, pire ce sera. J’ai l’habitude maintenant. Il me pousse violemment contre le canapé et je sais juste à son regard ce que je dois faire. J’entreprends de me dévêtir rapidement, je sais qu’il n’aime pas attendre de toute façon. Bientôt, il me martèle de coups de reins et je ne ressens aucun plaisir. Il n’y en a jamais eu, depuis la première fois, même s’il m’a toujours fait croire le contraire. Je regarde le mur devant moi, me laissant prendre sans rien dire puis je sens une nouvelle claque sur mon visage. C’est comme une brûlure partout sur moi. « You don’t like it, Oksana? You’re a whore, you should like it, no?. Or maybe you don’t love me? » Je suis prise de panique à sa question et je commence à pousser des gémissements, simulant d’apprécier ce qu’il me fait uniquement pour éviter un autre coup. Je baisse les yeux, sentant son corps nu remuer contre moi, puis bientôt plus rien. Il se retire puis s’éloigne, me laissant à moi-même sur le canapé, souillée et remplie d’incompréhension. Par la suite, je me suis débrouillée seule pour apprendre le suédois.
Dödskalle, Sweden, April 2005
Mes mains serrent durement la porcelaine froide de la cuvette alors que je vomis encore et encore pour une énième fois aujourd’hui. J’essuie les larmes sur mon visage qui ont coulé à force d’être penchée vers l’avant. J’ai l’impression qu’une bombe va exploser dans ma tête, et je me laisse chuter sur les dalles froides de la salle de bain. Il a frappé trop fort tout à l’heure. Encore plus que d’habitude. Depuis quelques temps, les choses sont pire qu’avant. Il travaille encore plus, mais l’argent rentre moins. Je suis parcourue d’un nouveau frisson puis d’un haut-le-cœur avant de me jeter vers l’avant. Mon front heurte la toilette et un goût métallique envahit ma bouche alors que je crache ce qui me reste dans le ventre. En voyant la marre rouge foncée, je suis horrifiée. Ce n’est pas la première fois que je saigne. Je crois qu’il n’y a pas une parcelle de mon corps qu’il n’a pas abîmée ou blessée à un moment ou un autre. J’ai fini par comprendre qu’il n’y avait plus d’amour. Ou plutôt qu’il n’y en avait jamais eu. Il finira probablement par me tuer, pas besoin de faire de rêve débile pour le deviner. La porte grince. Je dois l’avoir réveillé, en même temps c’est difficile de rester silencieuse lorsque je vomis mes tripes dans la salle de bain. « What the fuck are you doing here? And what the hell is that? » Je baisse les yeux. Bonne question. Moi-même je ne sais pas. « I…I don’t… » J’essaie de lui expliquer que je ne sais pas ce qui se passe, mais les mots ne sortent pas. Je mets ça sur le compte de la fatigue, mais articuler la moindre parole demande un effort phénoménal. Il pousse un soupir agacé et s’approche de moi. Je lève les bras, comme pour le pousser à reculer. Il saisit ma main, me forçant à me relever. La bombe qui semblait prête à exploser dans ma tête décide visiblement de s’exécuter. Je sens mon genou se fracasser sur le sol. Puis un trou noir.
Dödskalle, Sweden, October 2005
J’ouvre les yeux pour constater que je suis sur le sol de la cuisine. Les légumes que je coupais sont toujours sur le plan de travail et n’ont pas bougé. Puis alors que je tente de me rappeler ce qui s’est passé, je ressens une douleur vive au creux de ma main. Le liquide écarlate laisse des gouttes sur le sol et je regarde autour de moi, cherchant un appui pour me relever. Mes jambes sont molles comme de la guenille. Je ferme les yeux puis prends une grande respiration. Il y a des mois que c’est comme ça. Depuis ce coup plus violent que les autres. J’attrape le ling accroché au four et l’enroule autour de ma main, coupant la circulation du sang. La coupure est douloureuse, un peu comme une brûlure. Mais avec le temps on s’habitue à n’importe quoi. Mes jambes tremblent et je vois le canapé au salon. Ramassant mes forces, je décide de m’en approcher et m’écroule sur les coussins, les ressors grinçants sous la surface défoncée. Je n’ai aucune idée du temps que je passe allongée inconfortablement, mais lorsque je le vois arriver, je sais d’avance que je ne passerai pas une belle soirée. « You’re sitting on your ass again? Aren’t you tired of being so lazy? » Je jette un coup d’oeil aux taches de sang sur le plancher de la cuisine que j’ai omis de nettoyer et observe le bandage sur ma main, je tente de cacher celui-ci discrètement. Il la remarque, but comme le bazar dans la mienne. « What the hell happened here? I can’t even leave you for a couple of hours without finding a mess when I come back. What is wrong with you? » Je le regarde mais évite les yeux bleu pâle qui me paraissaient soudainement bien menaçants. Je respire profondément, en fait j’ai de la difficulté à comprendre ce qui se passe. « I…I tripped… » Je prononce mes mots letement, articulant difficilement. Quand ça arrive, il s’énerve. C’est exactement ce qui se produit. « You tripped? Are you kidding me? And stop talking like you’re retarded. I know you’re stupid, but you could at least pretend that you’re normal. » Je me pince les lèvres, ne répondant rien. Il a probablement raison de toute façon. Je ne serais pas ici, sinon. Je serais sans doute partie depuis longtemps.
Dödskalle, Sweden, January 2007
Des flashs de couleur, des voix qui me racontent des choses que je n’arrive pas à assimiler, tout est embrouillé et disparait dans un fondu, puis soudainement plus rien. Je me sens détrempée, comme si soudainement je venais de tomber dans une piscine. Je tente de nager, mais j’en suis incapable. Je suis paralysée, comme si une main invisible me retenait la tête sous l’eau. Je me débats, sans succès. L’air dans mes poumons se vide peu à peu et je me sens m’engourdir. Tout est noir alors que je regarde autour de moi. Dans un dernier élan de désespoir, j’agite les bras faiblement et hurle. L’eau envahit ma bouche ainsi que mon nez. Je vois les bulles qui s’échappent de ma bouche, puis plus rien. Je me redresse dans le lit, le vent souffle par la fenêtre entre ouverte, laissant entendre un sifflement qui semble presque humain. Jannik dort à côté de moi, et un frisson me parcourt l’échine. Ce n’est pas la première fois que je fais des cauchemars J’en fais même assez souvent. Ceui-là semblait trop réel. Je n’ai pas envie de me rendormir de peur d’en rêver encore. Je me faufile hors du lit, faisant bien attention à ce qu’il ne se réveille pas. Je quitte la chambre à pas feutrés, une boule dans la gorge et que je tente de faire passer avec le verre de vin que je me suis servi une fois dans la cuisine. Je ne tiens pas l’alcool, mais bien souvent, elle rend les choses bien plus faciles à avaler, dans bien des cas. Je me blottis sur le canapé dans la pénombre du salon, n’entendant pas le plancher craquer. « What are you doing? Go to sleep, it’s late. » Il n’a pas ort, seulement le rêve est encore trop vif dans mon esprit. « I had a nightmare. I'll will be there soon. » Je murmure sur un ton hesitant et il éclate de rire. « I told you it was real, Oksana. Nobody leaves this town alive. » Je déglutis. Il ne sait même pas de quoi il s’agit. Et s’il pouvait le savoir? Je porte le verre de vin à mes lèvres et grimace en avalant ma gorgée de liquide bon marché. Je n’ai jamais cru en quoique ce soit, mais ce soir le doute s’est immiscé dans mon esprit. Lorsque je me suis rendorme, je n’ai pas fait le rêve à nouveau. J’étais un peu saoule, Jannik en a profité. Ça se passe souvent de cette façon.
Dödskalle, Sweden, March 2008
Mon dos frôle presque le mur et je frissonne au contact frais de l’air sur ma peau. L’eau frappe mes jambes et je regarde les gouttelettes rouges qui déferlent sur mes jambes. Des bleus ornent mes cuisses et mes yeux s’en détournent, voulant éviter le problème. J’ai dit au médecin que j’avais chuté, je me doute bien qu’il n’en a pas cru un seul mot. J’ai mal à la tête et le bas de mon ventre se tord douloureusement. Je retiens un gémissement, vérifiant la porte entre-ouverte pour voir s’il n’apparaîtrait pas dans le couloir, s’il ne serait pas déjà là, m’observant sous la douche. Je me laisse glisser en douceur, appuyant ma tête contre la tuile froide du mur de la douche. Tentant de calmer ma respiration, je regarde avec horreur la marée rouge qui disparaît au fond du drain. Je suis prise d’un haut-le-cœur, je n’imagine même pas ce qui arriverait s’il l’apprenait. J’ai jeté le test de grossesse dans les poubelles des voisins pour être certaine qu’il ne puisse pas le voir, et j’ai supplié le médecin et l’infirmière de ne pas appeler à la maison pour faire de suivi. Je n’en veux pas, de toute façon. Le plus rapidement ce sera oublié, mieux ce sera. Jannik serait le pire père au monde. Et je ne suis pas vraiment mieux, dans mon genre. Je regarde mes doigts rougis par le sang sous mes ongles, puis les pose à plat au fond de la baignoire. Ça me détendrait sans doute, un bain. Je me rince une dernière fois puis installe le bouchon, sortant de la douche pour fermer la porte de la pièce. Il n’aime pas lorsque je m’enferme, mais ce soir, je mérite d’être seule. Et puis je pense qu’il s’est endormi devant la télévision. S’il est assez ivre, il n’aura pas la force de bouger du canapé cette nuit. Je souris doucement à cette pensée. Je trempe mes pieds dans l’eau chaude que je coupe avant qu’elle ne soit trop haute. Depuis ce cauchemar, je fais attention au niveau de l’eau, ça me terrifie. Je ne veux pas croire que ces histoires soient réelles. Jannik ne m’a jamais dit son rêve. En même temps, je suppose qu’il n’a pas envie que je puisse devenir une potentielle menace. Je ramène mes cheveux dans mon dos, étalant mes jambes au fond de la baignoire. Je ferme les yeux et profite du silence, un silence d’une bien courte durée car le téléphone sonne. Mon sang fait un tour puis se glace dans mes veines lorsque la porte s’ouvre brutalement. Le regard assassin qu’il me lance me laisse deviner ce qui s’est passé. Mes mains cherchent le premier objet possible dans la douche, mais une savonnette est un bien mauvais moyen de défense. « Jannik, please, I can explain. » Je mets un bras devant moi comme un moyen de défense, puis il s’approche de la baignoire. Mon cœur palpite dans ma poitrine. Le rêve. « The abortion clinic called, they asked how you were doing. How are you doing, Oksana? I hope you’re doing fine, because when I’ll be done with you, you won’t be doing so good. » Je peux entendre le sang qui bat dans mes tempes, et ses mains qui se resserrent sur mes épaules. Il va me noyer. Comme dans mon rêve. Je vais crever comme ça, ce soir, sans rien faire. Non, je ne peux pas croire. C’est pas possible. « Jannik, please. » Mes lèvres effleurent les siennes dans un ultime geste de pitié, une dernière tentative de m’en sortir. Mes digitales détrempées tirent sur le tissu de sa chemise et alors qu’il se rapproche de moi, je le saisis brutalement. J’entends un bruit sourd alors que sa tête se fracasse contre le mur, puis me jette hors de la baignoire. Mon genou cogne contre le rebord, mais je ne bronche pas sous la douleur. L’adrénaline vous fait faire des choses incroyables parfois. Je le vois qui remue dans la douche, qui pestifère des mots qui n’ont pas de sens. Il murmure près de cent fois qu’il va me tuer. Je regarde le vanité. Il n’y a pas grand-chose qui puisse me servir d’arme. Je le vois remuer, et j’ouvre les tiroirs un à un. « Look at yourself, what do you think you’re doing? » Je rougis, pas de honte cette fois-ci mais de colère. « Shut up. Or I’ll fucking stab you to death » Il tente de se relever et je prends peur, attrapant le fer à friser. Je le frappe. Une fois, deux fois, trois fois. J’ai l’impression d’avoir un bâton de baseball entre les mains. J’ouvre le petit étui noir que j’ai jeté sur le comptoir, regardant Jannik qui remue encore dans le bain. Je pourrais le laisser comater et se noyer dans l’eau, mais pour tout ce qu’il m’a fait subir, pour toutes ces années, je ne peux pas le laisser partir aussi facilement. Le moment d’inattention est trop long, je glisse vers la baignoire et tombe dans l’eau. « If you think that I’m gonna let you go so easily, bitch, we’re so not over. If I die, you die too. Aren’t you supposed to drown, anyway? » Sa voix est incroyablement calme. C’est effrayant. Il n’a pas tort, c’est une des raisons pour lesquelles j’ai cru dès qu’il est entré qu’il était là pour me tuer. Dès qu’il a su ce que j’étais allée faire chez le médecin, je savais que j’étais perdue. Le bain n’était qu’une coïncidence. Je tremble, dissimulant le petit objet dans ma main que j’ai réussi à emmener avec moi, ma main trempant dans l’eau. « I don’t think so, Jannik. Not tonight. I’m not dying tonight. Not with you. » Je n’ai jamais blessé personne. En réalité je n’ai même jamais fait de mal à un animal. La petite lame pointue transperce sa peau alors que je plante les ciseaux de manucure à l’arrière de sa tête. Je perds le compte des coups que j’y porte, je sais que le sang coule en longs jets sur son dos. Je n’aurais jamais cru que ce serait si efficace. Il se débat, et je reçois bientôt un coup qui me fait lâcher les ciseaux qui volent sur le plancher. Il se tient l’arrière de la tête et je m’empresse de sortir de l’eau, glissant maladroitement sur le plancher. Je prends ma serviette et je vois le fer à friser. L’idée est complètement cinglée, mais à ce moment précis, je n’ai plus rien à perdre. M’essuyant les mains, j’attrape le fil du fer à friser et le branche dans le mur, jetant l’accessoire de coiffure dans l’eau. Les lumières clignotent dans la pièce et les hurlements de douleur sont insupportables. Quand ils sont venus me chercher, ils ne croyaient pas que c’était ma faute.
Dödskalle, Sweden, April 2008
Je regarde le médecin qui passe une lumière dans mes yeux, un après l’autre, vérifiant je-ne-sais-quoi. Je bouge légèrement, un peu inconfortable sur le lit d’oscultation. Je n’ai été qu’une fois sur ce genre de table, lorsqu’ils m’ont donné le médicament quand j’ai avorté. Avorter, ça sonne tellement dramatique. J’ai seulement fait la meilleure chose. « You say that you never went to the hospital after you collapsed? » Je hoche la tête en signe de négation. La première fois, j’ai seulement cru qu’il avait cogné trop violemment. Ensuite, je n’ai pas voulu l’inquiéter avec mes questions. Je me mords le coin de la lèvre, je ne suis pas encore très à l’aise pour parler de ce sujet. « You are really lucky that it didn’t damage your brain permanently. Some patients become paralyzed, some even die. » Je hausse les épaules. La seule raison pour laquelle je suis ici, c’est car on me force à voir un médecin en attendant le procès. L’avocate qu’ils m’ont attribuée m’a dit qu’il n’y a aucune chance que je passe ma vie en dedans, que je peux aisément passer pour la victime dans cette histoire. Pour ma part, même la prison me parait bien, quand je pense qu’ainsi je ne le verrai plus. Je sens comme si un poids n’était plus sur mes épaules. La main du médecin se pose sur mon menton, je me braque et la retire vivement. Il me regarde d’un air surpris. « I want you to lift your chin, please. » Il est poli et je me sens un peu stupide d’être autant sur la défensive. Je m’exécute, il doit sans doute porter attention aux marques d’ongles sous ma mâchoire, lorsqu’un peu plus tôt cette semaine Jannik a serré trop fort. Des marques comme celles-ci, il y en a des centaines, dont celles qui ne partiront pas. Je baisse les yeux. Pas de honte mais de colère. Le médecin s’éloigne puis jette un coup d’œil à mon dossier. Je passe mes mains sur mes bras, j’ai l’impression que la salle est glaciale. « The neurologist will be there in a moment with your EEG results. You can lay down if you want. » Je hoche la tête, n’ayant aucune idée de quoi il parle. Ils m’ont fait passer une batterie de tests lorsqu’ils m’ont emmené ici. J’aurais cru au début qu’on m’emmènerait directement au commissariat, mais les choses se sont passées différemment. On m’a passé les menottes, puis je suis arrivée ici. Il y a presque une semaine que je suis ici. Cinq jours en fait. Je me sens étourdie et je m’allonge, fermant les yeux. Alors que je pense m’endormir, j’entends la lourde porte s’ouvrir et se refermer. « Miss Novàk? I’m Doctor Almgren, your neurologist. How are you? » Je trouve un peu stupide de demander à quelqu’un qui est interné à l’hôpital comment il va. Je veux dire, si j’allais bien, je ne serais forcément pas là. Je ne lui réponds donc pas. La femme devant moi a les yeux bleu, les cheveux blonds, la suédoise typique quoi. Je regarde mon teint olive. Je ne me fonds pas vraiment dans la masse. « Miss Novàk, I looked at the results of your scans, and there seems to be damages on both your frontal and temporal lobes. »Je n’aime pas vraiment les médecins, ils sont là avec leur grand vocabulaire, particulièrement elle, et moi je ne comprends rien. Je hoche la tête, puis lui lance un regard incertain. « Okay…So what does that mean? Am I gonna die? » Elle sourit légèrement et je la fixe comme si elle venait d’une autre planète. On parle tout de même de ma vie qui est en jeu. « In fact, you are sort of lucky. You explained to the doctor that you ‘fainted’ sometimes, and had very strong headaches. Am I right? » Je ne vois pas où elle veut en venir, mais j’acquiesce. Elle prend mon dossier et en sort des radiographies. Je ne vois pas grand-chose, mais elle me pointe des ombres comme des évidences claires. « Because you didn’t go to the hospital at the time, the damages got worse. It affected your brain and caused post-traumatic seizures, and it became generalized. » Je ne comprends pas vraiment ce qu’elle m’annonce. À vrai dire, ça fait beaucoup d’informations à assimiler en même temps. Depuis une semaine, on me bourre le crâne avec des lois et des explications sur ce qui se passera durant le procès, on me pose des questions indiscrètes et gênantes, et maintenant ça, on m’annonce que je suis malade. Si ça se trouve je suis folle. Ça se pourrait bien. Il n’aura peut-être pas eu tort sur quelque chose finalement. « I don’t understand. » Je vois à son regard qu’elle semble exaspérée. Je fronce les sourcils et fixe le plancher, un peu sur la défensive. En même temps, je ne suis pas une spécialiste de la médecine, moi. Elle prend une heure pour me parler des conséquences aux chutes nombreuses sur le sol. Qui aurait cru qu’un seul coup porté trop fort ait pu enclencher ensuite autant de complications. J’aurais pu m’en tirer avec presque rien, si Jannik m’avait emmenée à l’hôpital après les premières convulsions. Il a préféré ne jamais en parler. Sans doute qu’il trouvait ça gênant. S’il avait su tout l’argent qu’il pouvait se faire avec mes médicaments, il aurait peut-être apprécié pourtant de savoir que sa copine, la pauvre conne inutile, avait développé une épilepsie post-traumatique à cause des trop nombreux chocs à la tête qu’il lui avait assené. Ça a pesé dans la balance, lors du procès, ça aussi. Tout comme un tas d’autres choses.
Dödskalle, Sweden, December 2008
Mes jambes tremblent nerveusement, mes talons frappant doucement le plancher alors que la psychiatre devant moi m’observe, son cahier de notes en main. « Oksana, you know that if you don’t talk to me, you’re going to jail next week, do you? » Je hoche la tête. Je ne sais pas quoi lui dire. Qu’est-ce qu’elle veut savoir exactement. Pourquoi je l’ai tué? Car j’avais peur, parce que je sentais que si je ne le faisais pas, c’était lui qui le ferait. Je pensais échapper à ce stupide rêve de cette façon, conjurer le sort. Me sortir de ce cauchemar qu’était la vie avec Jannik, à défaut d’avoir le courage de le faire d’une autre façon. « Oksana… » Je la coupe, une chose qui ne serait jamais arrivée avant. « Please, stop. I know. What do you want me to say? There’s not much left to say. » Elle prend des notes, sans doute qu’elle écrit sur sa feuille que je ne suis pas coopérative, ou un truc du genre. Ils me le disent souvent, que je ne suis pas coopérative. Facile à dire, quand on vous répète depuis que vous avez quinze ans de vous la fermer. « Why didn’t you just leave before it was too late? You told me you knew he would kill you one day. If you were not safe, why did you stay? » Je ne sais pas. Je n’ai pas de vraie raison. J’ai toujours utilise le prétexte que j’étais seule au monde sans lui. Ce qui n’est pas faux. Aujourd’hui, la solitude est loin de me faire peur. Je la recherche, j’aime passer inaperçue, être à l’abri des regards. « Because I had nowhere else to go. And death doesn’t really scare me. » Encore aujourd’hui, mourir n’est pas ce qui me terrifie le plus. C’est surtout de savoir comment ça va se produire. Je n’ai jamais été superstitieuse, et maintenant je commence à croire que cette histoire de rêve est bien réelle. Je n’en parlerai pas à cette psy. Des plans pour qu’elle me fasse internet. Troquer la prison pour l’hôpital psychiatrique, ce n’est pas une si bonne idée que ça. Si on y rentre sain d’esprit, on en ressort complètement cinglé. Elle griffonne encore dans son cahier. « Well, you don’t look like the victim they described me at all. » ‘La victime’ C’est comme ça donc qu’ils m’appelaient? Je reste de marbre, mais je suis un peu dégoûtée de l’apprendre. « I don’t want to be a victim anymore. » Mes mots sont secs et mon regard transperce le sien, je n’entends pas vraiment à rire. Depuis le début du procès, les visites à l’hôpital, les discussions avec mon avocate, j’ai compris que ce n’était pas ma faute, que dans cette histoire j’aurais dû passer à l’acte bien avant. J’aurais peut-être dû tenter d’inspirer la pitié encore un peu plus longtemps, je n’aurais peut-être pas pris trois ans en dedans. Je serais peut-être sortie avec une tape sur les doigts et des représailles, à la limite les gens m’auraient plaint. Quand vous devenez forte, les gens se mettent à vous détester.
Oslo, Sweden, January 2009
« I heard she’s an orphan. And she’s here because of her ex-boyfriend. » Je peux les entendre parler alors que je marche à l’entrée de la pièce et que le garde de sécurité retire mes chaines. J’ai été condamnée à trois ans en confinement dans une prison pour femmes, des femmes comme moi qui ont tué des gens. Je peux sentir les regards fixés sur moi et je me force à garder la tête haute. Je ne regarderai plus le sol à présent. J’en ai ma claque d’être la victime, j’ai joué ce rôle toute ma vie. J’entends une voix derrière moi, la même qui parlait il y a deux minutes à peine. On dirait qu’elle est la seule à parler, les autres ne font qu’écouter, acquiescer et murmurer des commentaires. Elle m’interpelle. « Hey, new girl, so what’s your crime? » Je reste silencieuse, je n’ai jamais été du genre à me mêler aux groupes, ça ne changera pas aujourd’hui. « I bet she can’t even understand what I’m saying… Hey new girl, wanna sit with us? » J’ai l’impression d’être prise pour une conne. En fait c’est exactement le cas. Une seconde elle leur parle et l’autre elle fait sa gentille. Je n’achète pas ça. « No thanks, I’d rather be alone than sit with you. » Je n’ai pas envie de faire partie de leur petite clique. Car c’est bien ce que c’est, une clique de garces de prison. J’aurais peut-être dû accepter pour me rendre la vie plus simple, mais je n’ai pas envie de plier et de faire partie de la meute, de suivre comme un petit chien celle qui semble être la chef de la troupe. « What a cunt, wow. Seems like she wants to make enemies. » Je m’assois sur le canapé devant le téléviseur qui repasse un vieux film étrange que je n’ai jamais vu, écoutant les autres filles qui parlent tout haut. Elles parlent parfois de moi, je les entends faire des suppositions sur qui je suis, d’où je viens, et ce que j’ai fait pour atterrir ici. Elles font probablement ça avec toutes les nouvelles j’imagine. Une cloche finit par sonner, indiquant que c’est l’heure d’aller manger. Alors que je m’apprête à suivre les autres prisonnières dans la cafétéria, je remarque que la reine du troupeau me fixe encore. Je m’arrête un instant et dès que j’en ai la chance, j’attrape son avant-bras, le serrant fermement entre mes doigts. Mes ongles se plantent dans sa peau, et je la presse violemment contre le mur. Sa tête cogne contre la surface dure du béton blanchit. « Don’t you dare calling me a cunt again. » J’arrive pour la frapper, je lève la main sur elle mais j’entends la gardienne de sécurité venir à moi. Bien assez vite mes mains se retrouvent plaquées sur mon dos, et les menottes se resserrent autour de mes poignets. Elles feront ça souvent à l’avenir pour me maîtriser. Ils disent que l’agressivité est un effet secondaire des blessures. J’ai plutôt l’impression de rattraper le temps perdu, maintenant je ne me laisse plus marcher sur les pieds. De plus, cette « agressivité » comme ils l’appellent m’a sauvé la peau. Les filles ont eu tendance à m’éviter, donc ne plus m’embêter. Faut croire que la violence règle les choses finalement.
Dödskalle, Sweden, January 2012
« Cher journal,
Il y a un peu plus de trois ans que je ne suis pas revenue en ville. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, depuis. Je ne connais personne ici, Jannik ne me laissait pas beaucoup voir d’autres personnes. En fait, il me laissait à peine sortir dans les derniers temps. J’aurais pu changer de ville, déménager ailleurs, mais c’est le seul endroit que je connaisse ici. Et puis de toute façon, je sais que je n’échapperai pas au rêve, alors à quoi bon fuir. En prison, j’ai appris la mécanique. Ça me fait oublier quand je suis en colère. Je me plonge dans les moteurs et j’oublie ce qu’il y a autour. Je ne peux pas conduire, pour le moment. Les médecins ne veulent pas à cause des crises. Les médicaments me donnent mal à la tête, mais j’essaie de les prendre tout de même, car quand je ne les prends pas, je perds le contrôle. J’ai trouvé un emploi dans un petit garage, et un appartement assez décent. Étrangement il est même mieux que ce que j’avais avec Jannik. Comme quoi me retrouver seule n’est pas si mal que ça en fin de compte. J'essaie de rester discrète, par contre. Je n'aime toujours pas me mêler aux gens. Je crois que je ne m'y ferai jamais, mais la solitude ne me dérange pas. Les psys ont dit que c'est parce que je manque de confiance en moi, je crois que je manque surtout de confiance en les autres. »